Dot et Tot au Pays Joyeux - Chapitre 13

La révolte des poupées

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Dot et Tot se réveillèrent tôt, mais le soleil envahissait déjà le palais de ses rayons argentés, ils se hâtèrent de s'habiller et rejoignirent la Reine pour le petit déjeuner.

Le repas était aussi distingué que celui de la veille, et la Reine de cire bavardait si gaiement que nul n'aurait soupçonné qu'elle s'apprêtait à entreprendre un voyage.

« Je tâcherai de rentrer à la tombée de la nuit, » leur dit elle, « vous ne serez seuls qu'une journée, je vous recommande de visiter la Vallée, si vous voulez le faire en calèche, les cochers royaux vous conduiront où vous voulez. »

« Puis je vous demander une faveur ? » demanda timidement Dot.

« Certainement, Princesse, demandez ce que vous voulez, » répondit la Reine en mettant un châle écarlate sur ses épaules, prête à partir.

« Pourriez vous réveiller les poupées du village avant de partir pour que Tot et moi on puisse jouer avec ? » demanda la fillette.

La Reine réfléchit un moment avant de répondre : « les poupées deviennent souvent un peu trop espiègles quand elles sont livrées à elles-même toute une journée, vous pourriez les trouver pénibles à la fin. Mais si vous êtes sûrs de supporter leurs tours, je ferai ainsi que vous le souhaitez et vous laisserai jouer avec elles. »

« Merci ! Merci beaucoup ! » s'écria Dot, reconnaissante.

La Reine fit venir les calèches et ils se rendirent tous dans la rue principal du village. Là, son Altesse agita sa baguette magique trois fois et les poupées s'éveillèrent aussitôt, elles se livrèrent à un tel chahut que la Reine en fut abasourdie, alors elle ordonna à son cocher de se hâter vers la rivière.

Dot et Tot l'accompagnèrent, et quand ils eurent franchi la grille, la Reine dit aux enfants :

« Je vais emprunter votre barque, ce sera le moyen le plus facile pour moi d'atteindre la Vallée du Chien de Garde. »

« Vous n'arriverez jamais à remonter le courant, » dit Dot, « en plus, il y a plus qu'une seule rame. »

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« Je n'aurai pas besoin de rames. » répondit la poupée de cire en s'asseyant dans la barque.

« Au fait, » dit la fillette, « vous nous avez toujours pas dit votre nom. »

« Je ne vous l'ai pas dit hier ? » demanda la Reine d'un air surpris.

« Non. » dit la fillette.

« Ma foi, c'est un oubli de ma part, je suis tellement occupée que parfois, j'oublie des choses. Mais il faut que j'y aille, à bientôt, très chers, j'espère que les poupées ne vous embêteront pas trop. »

« On va bien s'amuser avec elles. » répondit Dot.

La Reine agita sa baguette de fée et aussitôt, la barque s'éloigna de la rive.

« Au revoir, votre Majesté ! » crièrent ensemble Dot et Tot.

La barque se mit à remonter le courant rapidement, si rapidement que l'eau jallissait de chaque côté de la coque en produisant un son presque musical.

Les enfants agitèrent leurs mouchoirs jusqu'à ce qu'elle eut atteint l'arcade menant à la Vallée des Bébés, puis ils s'en retournèrent au château. Là, ils congédièrent les cochers et se rendirent à pieds au village pour voir les poupées.

Elles étaient plutôt turbulentes, elles couraient dans tous les sens, jouaient aux devinettes, à colin-maillard ou à la marelle en riant bruyamment. Quand elles virent Dot et Tot arriver, elles accoururent vers eux en criant :

« Mettez la boîte à musique en route ! Nous voulons danser ! »

« Je sais pas comment on fait, en plus, c'est la Reine qui a la clé. » répondit Dot en parlant fort pour être entendue dans ce tumulte.

Les poupées avait l'air extrêmement déçues, et l'une d'elle, une poupée en bois aux manières arrogantes, leur dit d'un ton courroucé :

« La Reine n'a pas le droit de partir en emmenant la clé, que va-t-on faire de toute la journée si on ne peut pas danser ? »

« Tot et moi on va jouer avec vous. » répondit Dot.

« Très bien, » dit une grande poupée de porcelaine, dont les vêtements étaient plutôt sales et élimés, « qu'est ce que vous connaissez comme jeux ? »

 

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Dot en cita quelques uns, mais les poupées leur rirent au nez en criant : « c'est vieux, tout çà, on en a marre de ces jeux, on en veut des nouveaux ! »

« Les vieux jeux sont pourtant biens, » dit la fillette, « je comprends pas pourquoi vous refusez d'y jouer. »

« On refuse si on veut ! » déclara un baigneur tellement usé que de la sciure tombait de ses articulations quand il bougeait. « vous n'êtes pas notre Reine. »

« Mais je suis votre Princesse, » répliqua Dot avec dignité, « et en l'absence de la Reine, c'est moi qui commande dans cette Vallée. »

« Moi aussi. » ajouta Tot.

« Alors commandez ! » s'écria la poupée de bois arrogante, « commandez comme la Reine le fait, et donnez nous de la musique pour danser ! »

« Oui ! Oui ! » s'écrièrent elles toutes ensemble, « on veut danser ! » et elles se mirent toutes à agiter les bras en sautant et en faisant des pirouettes, au point que le sol fut bientôt recouvert de sciure de bois qui tombait d'elles.

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Dot était embarrassée par ces bruyantes exigeances, elle s'était plutôt attendue à une journée tranquille à jouer paisiblement avec ces jolies créatures, mais, alors qu'elles n'étaient même pas réveillées depuis une heure, elles étaient déjà insupportables. Cette agitation avait l'air de plaire à Tot, qui se tenait derrrière Dot, les mains dans les poches en souriant joyeusement.

Alors qu'elle réfléchissait à ce qu'elle pouvait faire, la poupée de chiffons Coquille vint lui dire :

« Puisque la boîte à musique est fermée à clé, pourquoi ne faites vous pas venir l'orchestre de soldats de plomb ?  »

Le visage de Dot s'illumina, « çà, c'est une bonne idée, » s'exclama-t-elle, « Coquille, va les chercher pour qu'ils nous jouent quelque chose. »

Tandis que Coquille accomplissait cette mission, les poupées devenaient de plus en plus bruyantes, l'une d'elle tenta même d'arracher la couronne de Tot. Mais le petit garçon repoussa brutalement la vilaine poupée, en renversant une dizaine d'autres qui se trouvaient derrière elle.

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« Ne leur fais pas de mal, Tot, » dit la petite fille, « n'oublie pas qu'elles sont fragiles. »

« Tant pis, si elles me touchent, je les démolis ! » s'écria le garçon, indigné, « je suis le Prince Tot ! »

Heureusement, l'orchestre de soldats de plomb arriva, et sur l'ordre de Dot, ils se mirent en cercle au bout de la rue et entamèrent une valse.

La musique eut un effet comique sur les poupées, car aussitôt, elles se mirent, à danser joyeusement sans plus prêter attention à Dot ni à Tot.

Tout en valsant, les poupées ne cessaient de bavarder et de rire, elles avaient l'air si gentilles et si détendues, que les enfants avaient peine à réaliser qu'elles avaient été aussi énervées et désagréables l'instant d'avant.

« Tant qu'elles seront occupées, elles ne causeront pas de problèmes, » dit Coquille, qui était revenu avec les musiciens, « mais même sa Majesté la Reine n'arrive pas à les contrôler quand elles n'ont rien pour les distraire. Je suis moi-même une poupée, je sais de quoi je parle. »

« Qu'est ce qu'elle fait quand elles sont énervées ? » demanda Dot.

« Elle les envoie dormir. » répondit Coquille.

Dot regrettait presque d'avoir demandé à la Reine de laisser les poupées du village éveillées toute la journée, mais elle adorait les regarder danser, et elles en avaient l'air comblées.

« Çà leur arrive jamais de rester tranquilles ? Elles ne se reposent pas à un moment ou à un autre en bavardant calmement ? »

« Jamais, » répondit Coquille, « si elles ne sont pas toujours en train de courir, de jouer ou de danser, elles ne sont pas heureuses. »

« Elles ne feraient pas de bonnes compagnes de jeu, tu trouves pas, Tot ? » dit elle.

« Non, » répondit il gravement, « j'aime pas les poupées vivantes. »

Mais çà les amusait de regarder ces petites créatures faire les folles, les enfants s'assirent alors sur un pas de porte et les regardèrent danser jusqu'à ce qu'Étincelle  arrive pour leur dire que le repas était prêt.

Ils s'esquivèrent alors discrètement, sans que les poupées ne les remarquent, et retournèrent au palais, où Coquille et Étincelle  leur servirent un succulent déjeuner.

Ils étaient à peine attablés qu'ils entendirent un grand bruit et une clameur à la grille du palais, ils se précipitèrent aussitôt dehors pour voir ce qui se passait.

Une foule de poupées surexcitées s'était rassemblée devant l'entrée, se bousculant et agitant les bras en l'air comme si elles étaient devenues folles.

Dot n'arrivait pas à comprendre un mot dans tout ce brouhaha, car elles parlaient toutes en même temps. Elle demanda à Étincelle la raison de ce chahut, et la servante répondit :

« Les musiciens ont cessé de jouer. »

« Mais pourquoi ? » s'exclama la fillette.

Pendant ce temps, Coquille était descendu à la grille pour parler avec les poupées, peu après, accompagné du chef d'orchestre des soldats de plomb, il était remonté auprès de Dot.

« Qu'est ce qui s'est passé ? » demanda-t-elle.

« Elles sont complètement folles, » se lamenta le musicien, « à part la Reine, personne ne peut les contrôler. Nous avons joué des airs de danse pendant des heures et des heures, nous sommes épuisés, vous savez, nos poumons sont en plomb, et aucun vrai musicien n'aimerait jouer continuellement de la musique aussi ordinaire. Alors on a voulu se détendre en interprétant quelque chose de plus calme et de plus classique, vous savez bien que la musique classique est calme. Mais à peine avons nous entamé l'ouverture que ces poupées sans âme sont devenues violentes. Elles se sont ruées sur mes pauvres musiciens, et elles les ont piétinés ! Moi même ils m'ont tordu le dos et la jambe, quant à mon clairon, il est gravement endommagé. »

En le regardant, Dot vit bien qu'il disait la vérité.

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« J'en suis profondément désolée, » dit elle nerveusement, « j'avoue que je ne sais pas quoi faire avec elles, en plus, la Reine ne rentrera pas avant ce soir. »

Jusqu'à maintenant, les poupées étaient restées en dehors du palais, mais Dot s'inquiéta en voyant une de ces créatures rebelles forcer la grille et accourir vers eux.

Vêtue de manière excentrique, elle avait de grands yeux noirs au regard intense, des cheveux emmêlés et pleins de nœuds, il lui manquait une chaussure et ses orteils dépassaient d'un grand trou à sa chaussette.

« Que voulez vous ? » demanda Dot alors que la poupée approchait.

« On veut notre dîner, bien sûr. » répondit la poupée d'un ton agressif.

« Je savais pas que les poupées pouvaient manger. » dit la fillette.

« Eh bien si, et maintenant, on a faim. Vous trouvez çà correcte, vous, de nous maintenir éveillées toute la journée sans rien nous donner à manger ? »

« Vous voulez manger quoi ? » demanda Dot.

« Qu'est ce que vous croyez qu'on mange ? De la sciure, bien sûr, nous en avons pratiquement toutes perdu en dansant, on a besoin de faire le plein. » continua la poupée.

« Mais je n'ai pas de sciure, et je sais pas où en trouver. » répondit l'enfant.

« La Reine en a une maison pleine dans le village, donnez nous la clé et on ira se servir. » dit la poupée.

« La Reine a du prendre la clé avec elle, » répondit Dot, désolée, « je ne suis au courant de rien. »

« Alors on va défoncer la porte ! » déclara la poupée en tapant rageusement des pieds, puis elle retourna en courant auprès de ses compagnes.

En apprenant que la Reine avait emmené la clé de la réserve de sciure, les poupées devinrent furieuses, et elles se ruèrent vers le bâtiment avec de grands cris pour en défoncer la porte.

Dot était à la fois vexée et inquiète : Étincelle lui avait dit que la Reine serait très contrariée si cette maison était abîmée.

« On n'a qu'à appeler l'armée ! » s'écria soudainement Tot.

« Çà, c'est une bonne idée, Tot. » dit la fillette, et aussitôt, elle envoya Coquille chercher les soldats de plomb, afin qu'ils descendent au village pour y rétablir l'ordre. Mais le serviteur en chiffons revint aussitôt et annonça que les soldats refusaient d'obéir.

« Ils ne sont pas habitués à se battre, » expliqua Coquille, « en plus, ils ont peur de subir le même sort que les musiciens de plomb. D'ailleurs, ils disent que la Reine déteste la bagarre, et elle leur en voudrait d'avoir fait du mal aux habitants du village. »

« Les soldats sont des jouets et les habitants du village sont des poupées, » ajouta Étincelle, « ils se sentent solidaires. »

« Ils ne l'ont pas été avec les musiciens. » lui fit remarquer Dot.

« Certes, mais les musiciens n'avaient pas le droit de jouer de la musique classique en publique. »

« Vous avez peut être raison. » dit pensivement Dot.

Elle ne pouvait empêcher ces vilaines poupées de faire ce qu'elles voulaient. Elle descendit dans la rue avec Tot et Coquille, et ils virent la foule défoncer la porte de l'entrepos de sciure de la Reine. Les poupées en prirent d'énormes quantités qu'elles emmenèrent chez elles pour en faire des tartes et des gâteaux, qu'elles dégustèrent en se réjouissant.

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Cela les occupa un moment, et Dot apprécia cette période de repos et de tranquillité, mais elle craignait que les poupées ne fassent encore d'autres bêtises avant la fin du jour, et ses craintes se réalisèrent.

En début de soirée, elles recommencèrent à s'agiter, et comme il n'y avait pas de musique, elles décidèrent d'en faire elles-mêmes.

Elles prirent donc des casseroles et des poêles comme tambours et des couvercles de marmites comme cymbales, tandis que d'autres poupées utilisaient des peignes avec du papier ; quand elles soufflaient dedans, cela produisait un son qui ressemblait presque à de la musique.

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Elles formèrent une procession, les poupées "musiciennes" en tête, et défilèrent dans tout le village en chantant bruyamment.

Tam, tam, tam !
Tam, tam, tam !
Voila l'orchestre des poêles et des casseroles !

Voila les cymbales avec leurs blang ! blang !
Voila les peignes avec leurs zip ! zip !
Voila le joyeux défilé !
Que les étrangers s'écartent de notre route !
Tam, tam, tam !
Tam, tam, tam !
Résonnez cymbales et tambours !

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Elles marchèrent ainsi jusqu'à la grille du palais et redescendirent au village, en passant devant la maison dans laquelle se trouvait la grande boîte à musique, l'une d'elles cria :

« Et si on défonçait la porte ? On pourrait mettre la musique ! »

« Bonne idée ! » s'exclama une des poupées les plus effrontées.

« On n'a que faire de la Reine ! » hurlèrent les autres.

Elles se ruèrent vers la maison, et Dot, furieuse et déterminée à protéger la boîte à musique de la Reine courut à la porte et se plaça devant en criant : « la première qui s'approche aura la fessée ! »

Les poupées reculèrent, mais elles lui lancèrent une pluie de casseroles, de poêles et de couvercles qui, heureusement, s'écrasèrent contre le mur sans lui faire de mal.

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Soudain, en plein tumulte, la fillette eut la surprise de voir les poupées s'immobiliser et devenir silencieuses.

Puis elles se mirent à courir chacune vers sa maison, et une fois que les rues furent désertes, Dot vit la Reine du Pays Joyeux en train d'agiter sa baguette magique une troisième et dernière fois pour renvoyer les poupées du village dans un profond sommeil.

« Votre Majesté ! » s'écria la fillette en accourant vers elle, « je suis si contente que vous soyez de retour ! »

 

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