Dot et Tot au Pays Joyeux - Chapitre 5
Le Chien de Garde du Pays Joyeux
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Bien sûr, devant quelque chose d'aussi exceptionnel, Dot ne prêta pas attention à la demande du petit garçon.
On aurait tout le temps de manger une fois qu'on serait sorti de ce tunnel et qu'on serait en sécurité.
La barque glissait sur l'eau avec la grâce d'un cygne, au bout de quelques minutes, elle passa au milieu des roches pointues à la sortie du tunnel et se retrouva à l'air libre, au milieu d'une large rivière.
Aussitôt, Dot et Tot se mirent debout sur le siège et regardèrent autour d'eux.
Ils se trouvaient dans une profonde vallée, dont la forme rappelait beaucoup un saladier, mais les bords étaient formés de hautes montagnes aux pics acérés. Pas un seul arbre, rien de vert en vue, la vallée était couverte d'une épaisse couche de pierres - des grandes, des petites, des pierres de toutes les tailles - partout et aussi loin que portait le regard.
La grande rivière bleue traversait le centre de la vallée, la barque était encore en amont, et en aval, les enfants aperçurent une arcade assez basse sous laquelle passait l'eau, ce passage menait sans doute à quelque contrée située au delà.
La barque flottait très lentement en direction de l'arcade, aussi, Dot décida qu'ils avaient le temps de manger quelque chose pendant qu'ils traversaient la vallée de pierres.
« Autant continuer comme çà, Tot, » dit elle en apprêtant le repas, « çà n'a pas l'air d'un endroit agréable ici, si on descend là et qu'on essaie de continuer à pieds, on sera jamais capable de franchir ces hautes montagnes. »
« C'est vrai, on pourra jamais. » acquiesça Tot en mordant dans son sandwich.
« Quel endroit sinistre, » continua-t-elle, en regardant les alentours, « j'ai l'impression que personne n'y est jamais venu, on n'a qu'à lui donner un nom, comme le font les explorateurs, appelons le Val Pierreux. »
« D'accord, » répondit Tot d'un air satisfait. Puis il pointa le doigt vers quelque chose qui bougeait au milieu des pierres. « Regarde ! » dit il, « t'as vu le drôle de bonhomme ? »
« C'est vrai, çà, tu as raison, Tot ! » s'exclama la fillette en regardant dans cette direction, « non, c'est pas un bonhomme, c'est un ours. »
« Un ours ! » répéta Tot, les yeux écarquillés, « quel drôle d'ours ! »
Au centre de la vallée, une créature hirsute se tenait assise sur un rocher. Apparemment, elle avait une forme humaine, comme l'avait d'abord supposé Tot, mais elle était recouverte d'une longue et épaisse fourrure qui faisait penser à Dot que c'était un ours.
Quoi que ce fut, la créature était bien vivante, et elle ne tarda pas à apercevoir la barque, alors elle sauta de son rocher et vint vers la rive en bondissant de pierre en pierre, elle était si rapide que sa longue fourrure voletait derrière elle dans le vent.
Le courant entrainait la barque directement vers la berge, et bientôt, l'avant toucha les graviers de la rive avec douceur. Pendant ce temps, l'étrange créature s'était approchée et s'était assise sur une grande pierre à quelques mètres d'eux.
Maintenant qu'il se trouvait tout près, Dot et Tot virent que ce n'était pas un ours mais un vieil homme, avec une barbe, des moustaches et des cheveux tellement longs qu'ils descendaient jusquà ses pieds, ils auraient été encore plus longs si les pierres du sol n'en avait usé le bout.
On ne voyait pas une seule partie de son corps, la toison de poils blancs le recouvrait entièrement comme une robe, à l'exception du haut de son crâne, qui était chauve et lisse. Sa fourrure était si épaisse que, quand il écartait les bras, seuls ses mains et ses poignets parvenaient à sortir de cette masse de poils.
La singulière apparence de ce personnage étonna les enfants, au point qu'ils restèrent un moment sans pouvoir dire un mot.
De son côté, l'homme poilu, qui était aussi étonné qu'eux, parla en premier d'une voix douce et mélancolique :
« Qui êtes vous, étrangers ? »
« Je m'appelle Dot, monsieur, » répondit la fillette, « Dot Freeland »
« Dot Filande. » répéta Tot.
« Et voici mon ami, Tot Thompson. » continua-t-elle.
« Je m'appelle Tom Tompum. » dit gravement Tot.
« Bien, » répondit l'homme, « je suis très honoré de faire votre connaissance, je suis le Chien de Garde du Pays Joyeux. »
« Quel drôle de nom ! » s'exclama Dot, « pourquoi on vous appelle comme çà ? »
« Parce qu'on m'a mis ici pour empêcher quiconque de passer sous l'arcade, qui surplombe la rivière menant aux vallées prospères du Pays Joyeux. »
« Comment vous faites pour empêcher les gens de passer dessous ? » demanda la fillette.
« Je leur dis qu'ils ne le doivent pas, bien sûr »
« Mais s'ils ne tiennent pas compte de ce que vous leur dites, que faites vous alors ? »
Le vieil homme parut embarrassé et il secoua lentement la tête.
« C'est sûr, je ne sais pas ce que je ferais dans ce cas, » répondit il, « voyez vous, personne n'est jamais venu ici depuis qu'on m'a ordonné de garder l'entrée du Pays Joyeux. »
« Depuis quand vous êtes là ? » lui demanda Dot.
« À peu près trois cent ans, je crois, j'ai un peu perdu la notion du temps. »
« Et vous êtes toujours pas mort ? » demanda Tot, qui se posait la question à cause de son grand âge.
« Non, cela ne m'est pas encore arrivé. » répondit le vieil homme d'un air pensif.
« Mais çà va vous arriver, n'est ce pas ? » insista le petit garçon.
« Ma foi, peut être bien, si la Reine m'y autorise. » répondit il.
« Qui est la Reine ? » demanda Dot.
« Celle qui dirige le Pays Joyeux. » répondit il.
Il y eut un moment de silence, pendant que Dot et Tot observèrent le vieil homme poilu qui les observait.
Dot brisa le silence en demandant : « que faites vous dans cet endroit isolé, où vous n'avez personne à qui parler ? »
« Eh bien, la plupart du temps, je monte la garde, comme l'exige mon devoir, et quand je me sens seul, je compte les poils de ma barbe. »
« Ah bon ? » fit Dot, intriguée, « et combien en avez vous ? »
« Eh bien, » répondit le Chien de Garde du Pays Joyeux sur le ton de la confidence, « j'en ai quatre vingt sept mille quatre cent vingt six, ou quatre vingt sept mille quatre cent vingt huit, des fois je pense que c'est le premier chiffre qui est exact, des fois je pense que c'est l'autre. J'étais en train de les recompter quand j'ai aperçu votre barque, j'en étais à soixante neuf mille trois cent cinquante quatre, mais j'étais tellement surpris de vous voir que j'ai perdu le compte et je vais être obligé de tout recommencer. »
« Je suis désolée. » dit Dot en compatissant, « j'aurais aimé connaitre le chiffre exact. »
« Si vous voulez bien attendre un moment, je vais les recompter. » s'empressa-t-il de répondre, « vous pourrez peut être me dire si je me suis trompé. »
« Combien de temps çà va prendre ? » demanda-t-elle.
« À peu près quatre mois. »
« Désolée, nous ne pourrons pas attendre aussi longtemps, » dit la fillette, « nous allons devoir y aller, maintenant. »
« Où allez vous donc ? » demanda-t-il.
« Il n'y a qu'un seul trajet possible, passer sous l'arcade pour entrer dans le Pays Joyeux, comme vous l'appelez. Nous n'avons pas assez de force pour remonter la rivière avec la barque, nous devons suivre le courant où qu'il aille. »
« Ce sera pour moi une terrible disgrâce, » dit le Chien de Garde du Pays Joyeux d'une voix solennelle, « si vous m'échappez, que va dire la Reine, en sachant que j'ai monté la garde ici pendant trois cent ans sans voir personne, et que soudain, j'ai permis aux premiers étrangers venus de franchir l'arcade ? »
« Je ne vois pas comment elle pourrait vous blâmer, » répondit Dot, « vous avez dit vous-même que vous seriez incapable de nous arrêter si on vous ignorait, la Reine ne peut blâmer que nous de ne pas vous avoir obéi. »
« Mais c'est vrai, çà ! » dit allègrement le vieil homme.
« Vous en voulez un morceau ? » demanda Tot en lui tendant une tranche de gâteau.
« Çà alors ! » s'exclama le Chien de Garde en la prenant dans sa main et l'examinant avec curiosité.
« Mangez, » lui dit Tot, « vous allez voir, c'est bon. »
« Mais je ne peux pas manger, » répondit le vieil homme, « je ne sais pas comment on fait, je n'ai jamais rien mangé de ma vie. »
« Même pas quand vous étiez petit ? » demanda Tot, étonné.
« Eh bien, j'ai oublié ce qui s'est passé quand j'étais petit, çà remonte à tellement longtemps, » répondit l'homme, « mais actuellement, je ne ressens jamais le besoin de manger, et même si c'était le cas, il n'y a rien d'autre que des pierres dans cette vallée. Je suppose que chez vous, manger est une habitude, pourquoi n'essayez vous pas d'arrêter ? »
« Parce que j'ai faim. » répondit Tot.
« La faim doit être aussi une habitude, » remarqua le vieil homme, « car çà ne m'est jamais arrivé depuis que je suis dans cette vallée. Cependant, permettez moi de garder ce morceau de gâteau, je pourrai me distraire en le regardant quand j'en aurai assez de compter mes poils de barbe. »
« Il n'y a pas de problème, » dit Dot, « mais je vous demande de nous excuser, car nous devons repartir. »
« Oh, je ne veux pas vous retenir, » répondit poliment le Chien de Garde du Pays Joyeux, « c'est à dire, si vous avez décidé de désobéir à mes ordres. »
« J'ai bien peur que nous le devions, » dit la fillette, « le Pays Joyeux se trouve de l'autre côté de cette arcade ? »
« En partie, » répondit le vieil homme, « il y a sept vallées au Pays Joyeux, reliées entre elles par des arcades sous lesquelles passe la rivière. »
« Qu'y a t il au delà de la Septième Vallée ? » demanda Dot.
« Personne ne le sait, hormis ceux qui y sont allés, et ceux qui y sont allés n'en sont jamais revenus »
« Eh bien, au revoir. » dit Dot.
« Au revoir ! » répéta Tot.
« Au revoir. » répondit le Chien de Garde.
La fillette prit la rame restante et s'en servit pour pousser la barque de la rive. La petite embarcation se mit à glisser tout doucement sur la rivière et suivit le courant en direction de l'arcade.
Dot et Tot s'assirent sur le siège et regardèrent le sympathique vieux monsieur jusqu'à ce qu'une ombre les recouvre, attirant leur attention sur le fait qu'ils passaient sous l'arcade, et qu'ils pénétraient dans la Première Vallée du Pays Joyeux.
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