La Clef-Maîtresse - 9
Le second voyage
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Depuis le temps que je vous parle de Rob, vous devriez vous faire une idée de sa personnalité. C'était un petit garçon typiquement américain, avec une intelligence moyenne qui n'était pas encore régulée par l'expérience. De nature curieuse, il était attiré par les mystères de l'électricité, et il consacrait beaucoup de temps à ses expériences. Mais ses études étaient superficielles, il ne se préoccupait que des détails advenant sur le moment. Il était encore immature, incapable d'appréhender la véritable valeur de la science et la gravité de l'existence humaine. Pour lui, la vie était une immense pièce de théâtre, où il se voyait comme l'acteur le plus intéressant et le plus important, et il se prêtait à ce jeu avec un grand enthousiasme.
Hormis l'accident extraordinaire qui avait fait rentrer le Démon de l'Électricité dans sa vie, Rob était promis soit à un avenir brillant, soit s'enterrer dans une existence morne et sans intérêt, selon ce que le Destin lui réservait. Jusqu'à présent, il vivait au jour le jour, sans s'inquiéter pour l'avenir.
Cependant, il était devenu plus réfléchi qu'auparavant dans sa brève existence, sans doute à cause de l'importance de ces objets, et de l'injonction du Démon de les utiliser avec sagesse. Au moment du dîner, il avait l'air tellement préoccupé que son père et sa mère lui lançaient des regards inquiets.
Bien entendu, Rob avait hâte d'essayer ses pouvoirs nouvellement acquis, et il décida de repartir sans perdre de temps. Mais il n'en dit rien aux membres de sa famille, de peur qu'ils ne s'opposent à ses projets.
Il passa la soirée dans le salon, en compagnie de ses parents et de ses sœurs, il parvint même à contrôler son impatience en jouant au Carom1 avec Nell, mais il était tellement irascible qu'elle abandonna la partie.
À un moment, il eut envie de mettre les lunettes électriques pour voir la vraie personnalité des membres de sa famille, mais une crainte subite l'envahit ; il risquait de le regretter jusqu'à la fin de ses jours. En effet, ils étaient les personnes les plus proches et les plus intimes qu'il avait sur terre, et dans son cœur d'enfant, il les aimait et avait une confiance absolue en leur bonté et leur sincérité. La possibilité de trouver une personnalité néfaste chez l'un des siens le fit frémir, il résolut donc de ne jamais utiliser ses lunettes sur un membre de sa famille ni sur un ami. Si on avait utilisé Révélateur de Personnalité sur lui, on aurait sûrement vu un grand S comme sage affiché sur son front.
Quand ce fut l'heure d'aller se coucher, Rob embrassa ses parents et ses sœurs avec une tendresse particulière avant de se retirer dans sa chambre. Mais au lieu de se préparer à se mettre au lit, il revêtit l'Habit Répulsif scintillant, qu'il dissimula sous ses plus beaux vêtements d'été.
Il regarda autour de lui pour voir ce qu'il pouvait prendre, il pensa à un parapluie, un imperméable, un livre ou deux pour lire durant le trajet, et encore d'autres choses, mais finit par y renoncer.
« Je ne dois pas m'encombrer de tout çà, » décida-t-il, « je me rends dans des pays civilisés, cette fois, où je peux avoir tout ce dont j'ai besoin. »
Cependant, pour éviter de renouveler ses erreurs, il arracha une carte du monde et une carte d'Europe dans son livre de géographie, les plia et les glissa dans sa poche. Il prit aussi une petite boussole gagnée dans une foire, ainsi que le contenu de sa tirelire, l'intégralité de ses économies se montant à deux dollars en pièces de un, cinq et dix cents.
« Ce n'est pas une fortune, » se dit en les comptant, « mais je n'ai pas eu besoin d'argent lors de mon dernier voyage, peut être que çà me suffira. Je n'ai pas envie de demander plus à papa, il risquerait de me poser des questions et de m'empêcher de partir. »
Le temps qu'il finisse de se préparer et qu'il range ses instruments électriques dans ses poches, il était presque minuit, et le calme régnait dans la maison. Rob descendit les escaliers en chaussettes et ouvrit la porte arrière sans faire de bruit.
C'était une belle nuit de juillet, la pleine lune brillait sous la voûte étoilée. Une fois que Rob eut enfilé ses chaussures, il déplia la carte, qui était bien visible par cette nuit claire, il repéra la direction de Londres, sa première destination, puis il consulta sa boussole. Ensuite, il régla l'aiguille de sa machine à voler sur haut et monta tout droit dans les airs, une fois qu'il eut atteint une altitude suffisante, il mit le cap sur le nord-est, et il commença son voyage en filant à toute vitesse dans le ciel.
« C'est parti ! » s'écria-t-il avec ivresse, « en route pour une nouvelle semaine d'aventures ! Je me demande ce qui va se passer d'ici samedi prochain. »
1 Carom ou Carrom, jeu de société très pratiqué en Asie, et tout particulièrement en Inde, se jouant avec des pions que l'on fait glisser sur un tablier en bois (NdT).
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