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Contes de Fées Américains - 5

Les caractères enchantés

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Un jour, un knook1 en eut assez de mener la belle vie, il avait envie d'autre chose. Les knooks ont plus de pouvoirs que tous les autres immortels, peut être à l'exception des fées2 et des ryls3. Certains se diront qu'un knook qui peut avoir tout ce qu'il veut rien qu'en le souhaitant devrait être parfaitement heureux et comblé. Mais ce n'était pas le cas de Popopo, le knook dont il est question ici. Il avait vécu des milliers d'années et avait goûté tous les plaisirs que l'on puisse imaginer, l'existence lui était devenue aussi fade qu'elle ne l'était pour quelqu'un qui n'avait pas ses pouvoirs.

Par le plus grand des hasards, Popopo se mit à penser aux terriens qui habitaient dans les villes, il décida alors de leur rendre visite pour voir comment ils vivaient. Cela serait sûrement amusant et lui ferait passer plusieurs heures sans s'ennuyer. 

Ainsi, par un beau matin, après un petit déjeuner si délicat que vous auriez du mal à l'imaginer, Popopo franchit sortit de chez lui et se retrouva intantantanément au centre d'une grande ville.

Sa demeure était si calme et si paisible que le soudain vacarme citadin le saisit brutalement. Il en fut si ébranlé qu'au bout de quelques minutes il renonça à l'aventure et retourna chez lui en un clin d'œil.

Il prit la résolution de ne plus jamais visiter les villes de la terre, mais bientôt, la monotonie de son existence le fit changer d'avis. La nuit, les gens dorment et les villes devaient être plus calmes. Il décida donc d'y retourner de nuit.

Le moment venu, Popopo se transporta directement dans une grande ville et se mit à arpenter les rues. Tout le monde était couché, pas de voitures circulant sur le pavé, pas de foule braillarde et agitée, même les policiers et les malfaiteurs somnolaient.

Rassuré par ce calme, Popopo retrouva son assurance, il entra dans plusieurs maisons et en visita les pièces avec curiosité. Aucune serrure ni aucun verrou ne résiste à un knook, de plus, il voyait aussi bien dans le noir qu'en plein jour.

Au bout d'un moment, il se retrouva dans le quartier commerçant. Les magasins sont inconnus des immortels, qui n'ont nul besoin d'argent ni de marché ni de bourse, aussi, cet étalage de marchandises hétéroclite l'intrigua grandement.

Alors qu'il flânait ainsi, il entra dans une chapellerie, il examina les vitrines et fut surpris du nombre de chapeaux pour dames parés d'oiseaux empaillés dans différentes postures, les plus élaborés en portaient deux ou trois. 

Les knooks, qui aiment tendrement les oiseaux, portent un soin particulier à les protéger. Popopo fut attristé en voyant ses petits amis enfermés dans des casiers de verre, il ignorait qu'ils avaient été placés là à dessein par la chapelière. Alors il ouvrit une porte de la vitrine, émit un sifflement propre aux knooks que tous les oiseaux connaissent bien, puis il les appela :

"Venez, mes amis, la porte est ouverte, envolez vous !"

Popopo ne savait pas qu'ils étaient empaillés. Néanmoins, empaillés ou non, tout oiseau est tenu d'obéir au sifflement d'un knook. Quittant les chapeaux, ils sortirent des vitrines et se mirent à voleter partout dans le magasin.

"Pauvres petits, " dit le knook au cœur tendre, "les champs et les forêts doivent vous manquer."

Alors il ouvrit la porte d'entrée et s'écria :

"Envolez vous, mes jolis, et soyez heureux !"

Bien qu'un peu désemparés, les oiseaux obéirent sans tarder et une fois qu'ils se furent envolés dans la nuit, le knook sortit à son tour, referma la porte derrière lui et continua ses pérégrinations dans les rues.

L'aube ne tarda pas à pointer, il résolut alors de revenir un peu plus tôt le soir suivant.

Le lendemain, dès que tomba la nuit, il revint dans la ville, et en passant devant la chapellerie, il remarqua de la lumière à l'intérieur. Il entra et trouva deux femmes, l'une d'elle était assise au comptoir, la tête posée sur les bras en sanglotant amèrement, tandis que l'autre tentait de la réconforter.

Bien entendu, Popopo était invisible aux yeux des mortels, alors il se tint devant elles et écouta leur conversation.

"Allons, ma sœur," disait celle qui réconfortait l'autre, "même si les oiseaux ont été volés, les chapeaux sont toujours là et ils sont jolis."

"Hélas !" s'écria l'autre, qui était la propriétaire du magasin, "la mode est aux oiseaux sur les chapeaux, s'il n'y en a pas, personne ne me les achètera et je vais être ruinée."

Sur ces mots, elle se remit à sangloter, le knook partit, un peu honteux ; involontairement, il avait fait du tort à une terrienne dans son amour pour les oiseaux, et maintenant, elle était malheureuse.

Pris de remords, il revint au magasin plus tard dans la soirée, quand les deux femmes étaient retournées chez elles. D'une façon ou d'une autre, il voulait remplacer les oiseaux sur les chapeaux afin que la pauvre femme retrouve le sourire. Il trouva une cave remplie de petites souris grises, elles vivaient tranquillement, se nourrissant de ce qu'elles volaient dans les garde-manger voisins en creusant à travers les murs.

"Voila ce qu'il me faut," se dit Popopo, "ces souris prendront la place des oiseaux, leur fourrure est aussi douce que des plumes et ce sont de grâcieuses créatures, de plus, comme elles passent leur temps à voler, en étant obligées de rester sur les chapeaux des dames, cela leur donnera une leçon d'honnêteté."

Il pratiqua un charme magique qui obligea les souris à quitter leur cave et les disposa à la place des oiseaux sur les chapeaux, le résultat était magnifique, du moins aux yeux d'un knook. Pour les empêcher de se sauver, il les avait immobilisées, puis, satisfait de son travail, il resta dans le magasin pour attendre le retour de la propriétaire, impatient de voir sa réaction de joie devant des chapeaux aussi joliment décorés.

Elle arriva tôt dans la matinée, accompagnée de sa sœur, une expression de tristesse résignée sur le visage. Après avoir balayé et épousseté le magasin, elle ouvrit les vitrines et en sortit un chapeau. En voyant une petite souris grise nichée entre les rubans, elle poussa un hurlement strident, jeta le chapeau à terre et sauta d'un bond sur le comptoir. Prise de panique, sa sœur monta sur une chaise et s'écria :

"Que se passe-t-il ?"

"Une souris !" balbutia la chapelière en tremblant de tous ses membres.

En la voyant dans cet état, Popopo comprit que les humains n'appréciaient pas particulièrement les souris et qu'il avait commis une erreur en les mettant là à la place des oiseaux, alors il émit un sifflement qu'elles seules pouvaient entendre.

Souris

Elles sautèrent aussitôt des chapeaux, se ruèrent hors des vitrines et retournèrent en courant dans leur cave. Seulement, cela effraya tellement la chapelière et sa sœur qu'elles s'évanouirent.

Popopo avait bon cœur, mais en voyant le désarroi qu'il avait causé par son ignorance des mœurs humaines, il souhaita se retrouver chez lui immédiatement, laissant les pauvres femmes se remettre comme elles le pouvaient.

Cependant, il éprouvait un sentiment de culpabilité, après réflexion, il se décida de se racheter en faisant revenir les oiseaux dans la vitrine. Les condamner ainsi à la servitude ne lui plaisait guère, mais c'était le seul moyen de résoudre les problèmes qu'il avait causés.

Il partit à la recherche des oiseaux, ils s'étaient enfuis au loin, mais ce n'était rien pour Popopo qui les retrouva en à peine une seconde, ils étaient perchés sur les branches d'un grand marronier en train de chanter gaiement.

En voyant le knook, ils s'écrièrent : 

"Merci, Popopo, pour nous avoir libérés !"

"Ne me remerciez pas," répondit le knook, "car je suis venu vous renvoyer au magasin de chapeaux."

"Pourquoi ?" demanda un geai, d'un ton irrité, tandis que les autres avaient cessé de chanter.

"Parce que cette femme vous considère comme sa propriété, et votre perte l'a rendue malheureuse." répondit Popopo.

"Et nous ? Tu crois que nous n'étions pas malheureux enfermés dans cette vitrine ?" demanda gravement un rouge-gorge, "tu dis que nous sommes sa propriété, mais en tant que knook, tu dois savoir que la nature nous a créés libres. De méchants hommes nous ont tiré dessus et nous on empaillés avant de nous vendre à la chapelière, mais l'idée d'être sa propriété est tout bonnement absurde !"

Popopo était désemparé.

"Si je vous laisse en liberté," dit il, "d'autres méchants hommes vous tireront dessus, et vous ne serez pas plus avancés."

"Bah !" fit le geai, "nous ne pouvons plus être tués, maintenant que nous sommes empaillés. ce matin, deux hommes nous ont tiré dessus à plusieurs reprises, mais les plombs n'ont fait qu'ébouriffer nos plumes et se sont enfoncés dans notre rembourrage sans nous causer de mal, nous ne craignons plus rien, maintenant."

Geai

"Écoutez moi !" dit Popopo qui sentait que les oiseaux avaient raison, "cette pauvre chapelière va se retrouver sur la paille si je ne vous ramène pas à son magasin, elle a besoin de vous pour décorer ses chapeaux correctement. Chez les femmes, c'est la mode de porter des oiseaux sur leurs couvre-chefs, ceux de la chapelière sont jolis avec leurs rubans et leurs décorations, mais ils ne valent rien si vous n'êtes pas perchés dessus."

"La mode," dit amèrement un oiseau noir, "c'est une invention des hommes, y-a-t il une loi, chez les oiseaux ou les knooks qui nous oblige à être esclaves de la mode ?"

"En quoi la mode nous concerne ?" s'écria une linotte, "si c'était la mode de mettre des knooks empaillés sur les chapeaux, çà te plairait, hein, Popopo ?"

Popopo était décontenancé, il ne pouvait décemment pas renvoyer ces oiseaux chez la chapelière, il n'avait pas non plus envie que cette dernière en pâtit. Il retourna donc chez lui pour réfléchir à une solution.

Après maintes réflexions, il décida de consulter le roi des knooks4, il se rendit sans tarder auprès de lui et lui raconta toute l'histoire.

Le roi se renfrogna.

"Ça t'apprendra à interférer dans les affaires humaines," lui dit il, "mais puisque tu as causé ces problèmes, c'est à toi de les résoudre. Nos oiseaux ne peuvent pas être réduits en esclavage, c'est indéniable. Il faut donc que tu te débrouilles pour changer la mode, comme çà, les femmes n'auront plus envie de porter des oiseaux sur leurs chapeaux.”

"Comment faire ?" demanda Popopo.

"C'est facile, la mode change souvent chez les habitants de la terre, ils se lassent rapidement des nouveautés. Dès que leurs journaux et leurs magazines décrètent que la mode est comme ceci ou comme cela, ils s'empressent d'obéir sans se poser de question. Il faut donc que tu rendes visite aux journaux et aux magazines pour enchanter les caractères d'imprimerie."

"Enchanter les caractères d'imprimerie ?" répéta Popopo, étonné.

"Exactement, arrange toi pour qu'ils marquent que ce n'est plus la mode de porter des oiseaux sur les chapeaux, cela soulagera cette pauvre chapelière et épargnera des milliers de nos chers oiseaux d'un sort si cruel."

Popopo salua le sage souverain et suivit ses conseils.

Presse 1

Il visita les bureaux de tous les journaux et magazines de la ville, il se rendit aussi dans ceux des autres villes jusqu'à ce qu'ils publient une nouvelle rubrique mode. Parfois, Popopo enchantait les caractères, afin qu'on ne lise ce qu'il avait envie qu'on lise. Il alla aussi voir les éditeurs et brouillait leurs cervaux jusqu'à ce qu'ils écrivent exactement ce qu'il voulait. Les mortels ne se rendent pas toujours compte à quel point ils sont infuencés par les fées, les knooks et les ryls, qui leur suggèrent souvent des pensées que seuls des immortels pleins de sagesse comme eux peuvent concevoir.

Le lendemain matin, en lisant son journal, la chapelière sauta de joie ; il était écrit qu'il ne fallait plus porter d'oiseaux sur son chapeau car désormais, la mode était aux rubans et aux broderies.

Popopo se fit une joie de visiter les autres chapelleries pour rendre la vie à  tous les oiseaux empaillés, désormais inutiles, qui avaient été remisés dans des tiroirs. Ils s'envolèrent dans les champs et les forêts en chantant gaiement pour remercier le bon knook qui les avait libérés.

Il arrive parfois qu'un chasseur tire sur un oiseau et s'étonne de ne pas l'avoir touché. Comme vous avez lu cette histoire, vous vous doutez qu'il s'agit d'un oiseau empaillé qui vient d'une chapellerie, et bien sûr, un coup de fusil ne peut le tuer.

Birds

1Les Knooks sont des lutins chargés de la protection des animaux (NdT).

2Voir l'article du blog : Les fées dans les œuvres de Baum (NdT).

3Les Ryls sont des lutins chargés de la protection des plantes et des fleurs (NdT).

4Le roi des knooks vit en Inde, dans la jungle, il faisait partie du conseil qui octroya le Manteau d'Immortalité au Père Noël (NdT).

 

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