La Clef-Maîtresse - 13

Rob perd ses trésors

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The master key 13 1

Notre jeune aventurier voulut passer la nuit à Paris, mais il faisait tellement chaud dans sa chambre d'hôtel, qu'il en étouffait. Il se dit alors qu'il dormirait mieux en voyageant dans les couches supérieures de l'atmosphère où il faisait plus frais. Quand sonna minuit, Rob fila tout droit dans le ciel et régla le cadran de sa Machine à Voyager sur l'est, il avait l'intention de se rendre à Vienne.

Il avait atteint une altitude considérable, l'air y était frais et énivrant, c'était tellement agréable, comparé au climat lourd des rues de Paris, qu'il finit par s'endormir. Son séjour dans la capitale française avait été intense. Comme tous les garçons de son âge l'auraient fait à sa place, il en avait profité pour s'amuser et profiter des charmes de la ville, mais cela l'avait épuisé, car il n'était pas habitué à de tels périples.

Vers trois heures du matin, alors qu'il dormait profondément, sa main droite toucha accidentellement le cadran à son poignet gauche, ce qui modifia sa course de quelques points vers le sud-est. Bien sûr, il ne s'en rendit pas compte, mais cela allait avoir des conséquences inattendues, car son sommeil s'était prolongé jusque bien après le lever du soleil, et pendant ce temps, il avait survolé toute l'Europe. Il s'approchait à présent des dangereux dominions de l'Orient.

Quand il ouvrit enfin les yeux, il eut bien du mal à déterminer où il était. En dessous de lui s'étendait une vaste plaine de sable, un peu plus loin, il atteignit une région à la végétation luxuriante.

La force centrifuge qui le propulsait avait, pour une raison inconnue, considérablement accéléré, le paysage défilait à une telle vitesse qu'il en avait le souffle coupé.

« Je me demande si je n'ai pas dépassé Vienne pendant la nuit, » se dit il, « normalement, çà n'aurait pas du me prendre plus de quelques heures depuis Paris. »  

À ce moment là, Vienne était à deux mille cinq cents kilomètres derrière lui. Mais comme à l'école, la géographie n'avait jamais été le point fort de Rob, et qu'il n'avait pas encore appris à contrôler la vitesse de la Machine à Voyager, il n'avait aucune idée d'où il se trouvait.

Un village avec des tours et des minarets fila au dessous de lui comme un éclair, il commença à s'inquiéter, et il résolut de ralentir aux prochains signes d'habitations.

C'était une sage décision, mais le Turkestan1 est si désertique, qu'avant d'avoir pu décider d'un plan d'action, il avait franchi la chaîne du Tian Shan2 tel un athlète qui saute un obstacle.

« Çà va pas du tout ! » s'écria-t-il, « on dirait que la Machine à Voyager s'est emballée, et je ne vois pas où je vais à cette vitesse. »

Il régla le cadran sur zéro, et à son grand soulagement, l'instrument obéit aussi promptement qu'il le devait. Il s'arrêta net, et il se retrouva suspendu au dessus d'une autre plaine de sable. Comme il était trop haut pour distinguer ce qu'il y avait à la surface, il descendit jusqu'à une trentaine de mètres. Aux alentours, il n'y avait que des dunes de sables s'étendant à l'infini dans toutes les directions..

« C'est bien un désert, » commenta-t-il pour lui-même, « peut être le Sahara. »

Il prit la direction de l'est et survola le désert à vitesse plus modérée. Il aperçut bientôt un point noir à l'horizon, en s'approchant, il vit une bande d'hommes à la mine patibulaire, montés sur des dromadaires et des chevaux fougueux, armés de longs fusils et de cimeterres aux lames recourbées.

« Ces gars là ont pas l'air de rigoler, » remarqua le garçon, alors qu'il planait doucement au dessus de leurs têtes, « je m'amuserais pas à leur chercher des embrouilles. » 

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Cependant, à peine la caravane armée fut elle hors de vue, Rob approcha d'une oasis boisée et luxuriante, en son centre était bâtie la cité fortifiée de Yarkand3. Il n'en avait jamais entendu parler, car seuls quelques européens et un américain avaient pu la visiter jusque là4, mais en voyant sa taille et sa beauté, il se douta que c'était une métropole importante.

De hauts minarets s'élançaient par dessus les murailles, indiquant par là que les habitants étaient turcs ou d'une autre race de mahométans, aussi Rob décida d'étudier le terrain avant d'établir le contact  avec eux.

À l'extérieur des murailles, il y avait un petit bosquet d'arbres feuillus, le garçon y atterrit et se reposa sous leur ombre rafraichissante.

La cité était tellement calme et silencieuse qu'on aurait dit qu'elle était déserte. Il se tourna vers le vaste désert de sable brûlant, et il plissa les yeux pour voir si les guerriers qu'il avait croisés arrivaient, mais ils étaient encore trop loins.

Les arbres qui abritaient Rob étaient les seuls en dehors de la cité, bien qu'il y eut aussi de nombreux buissons et broussailles dans l'espace qui le séparait de la muraille, dont les portes, sur sa gauche, étaient solidement fermées.

Il y avait quelque chose dans le calme et l'intense chaleur de cette mi-journée qui l'étourdissait. Il s'étendit sur le sol, à l'ombre du plus gros arbre, et il s'abandonna à la langueur qui s'emparait de lui.

« Je vais attendre jusqu'à l'arrivée de cette armée du désert, » se dit il, en somnolant, « soit ils habitent cette cité, soit ils viennent s'en emparer. Bientôt, je connaîtrai le fin mot de l'histoire. »

L'instant d'après, il avait plongé dans un profond sommeil, allongé sur le dos dans les ombres du feuillage, dormant comme un bébé.

Alors qu'il était ainsi étendu, immobile, trois hommes franchirent la muraille de la cité l'un après l'autre, se cachèrent dans les buissons, et en rampant silencieusement, s'approchèrent du bosquet.

C'étaient des Turcs, ils avaient reçu l'ordre de guetter l'arrivée de l'ennemi, et ils s'apprêtaient à escalader un arbre pour scruter l'horizon. Les suppositions de Rob étaient justes, la cité de Yarkand s'attendait à,une attaque de ses ennemis héréditaires ; les Tatars5.

Les trois guetteurs n'avaient pas un air plus avenant que les guerriers qu'avait vus Rob, leur allure était grossière, ils avaient la peau basanée, et leurs yeux lançaient des reflets inquiétants. Des vieux pistolets et des dagues à double-lame étaient glissés dans leurs ceintures, et leurs vêtements, bien que de couleurs vives, étaient sales et négligés.

Avec la prudence digne d'un sauvage d'Amérique, ces Turcs s'approchèrent des arbres, où, à leur grande surprise, ils trouvèrent le garçon endormi. À la vue de ses vêtements et de la couleur de sa peau, ils se dirent qu'il était européen, et leur premier réflexe fut de chercher son cheval ou son dromadaire. Ne voyant rien de ce genre dans les environs, sa présence les surprenait d'autant plus, et ils l'observèrent avec une curiosité compréhensible.

Un rayon de soleil frappa la surface polie de la Machine à Voyager. La brillance du métal attira l'attention du plus grand des Turcs, en se baissant, il alla prestement détacher l'objet du poignet de Rob, l'examina un instant d'un air perplexe et le glissa dans une de ses poches.

Rob commençait à s'agiter dans son sommeil, un des autres Turcs sortit une corde de sa chemise, puis il lui ligota agilement les poignets derrière le dos. L'action n'avait pas été assez rapide pour déclencher l'Habit de Protection, mais elle réveilla le garçon. Alors il se dressa sur son séant et se mit à fixer ses ravisseurs.

« Qu'essayez vous de faire ? » leur lança-t-il d'un ton impérieux. 

Les Turcs se mirent à rire, puis ils dirent quelque chose dans leur langue. Manifestement, ils ne connaissaient pas l'anglais.

« Vous faites une grossière erreur, » continua le garçon d'un ton courroucé, « vous ne pouvez pas me faire de mal. »

Ils ne prêtèrent pas attention à ses paroles. L'un d'eux lui fouilla les poches et en sortit le Tube Électrique. Son ignorance des technologies modernes était telle, qu'il n'eut même pas l'idée d'appuyer sur le bouton. Rob le vit regarder dans l'ouverture, et il murmura :

« Si çà pouvait faire sauter  ta vilaine tête ! »

Mais le gaillard, se disant que l'objet avait de la valeur, le mit dans sa poche et s'empara également de la boîte de Pilules en argent.

Rob se tortilla en gémissant en se voyant ainsi dépouillé, avec les mains attachées derrière le dos. Il voulut actionner la Machine à Voyager, mais en constatant qu'elle n'était plus à son poignet, la colère fit place à la peur, il se trouvait dans une situation vraiment désespérée.

Le troisième Turc mit la main sur la Chronique des Évènements. Il ne connaissait évidemment pas le système d'ouverture, aussi, après un rapide coup d'œil intrigué, il la mit dans sa poche et continua la fouille du captif. Il trouva les Lunettes Révélatrices de Personnalité, mais il n'y vit que des lunettes ordinaires, qu'il remit dans la poche de Rob avec un petit air méprisant, tandis que ses camarades se moquaient de lui. Ils lui prirent aussi les dix-sept cents qui lui restaient, un canif cassé et un crayon de bois, auquel ils semblaient accorder beaucoup de valeur.

Après s'être emparés de tout ce qu'ils avaient pu trouver, le grand Turc, qui semblait être leur chef, le frappa violemment de son pied botté. Grande fut sa surprise quand l'Habit de Protection arrêta son coup et le repoussa brutalement en arrière. Alors il sortit une dague de sa ceinture et se précipita sur le garçon, il avait pris un tel élan qu'il fut repoussé avec une force égale à trois mètres de là, tandis que sa dague tournoya un moment dans les airs et alla se planter dans le sable du désert.

« C'est çà, continuez ! » leur cria amèrement Rob, « j'espère que vous vous amusez bien ! »

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Les autres Turcs vinrent aider leur camarade à se relever, puis ils se regardèrent les uns les autres avec perplexité, incapables de comprendre comment un prisonnier ligoté pouvait se défendre ainsi. Alors, sur un mot chuchoté par leur chef, ils brandirent tous trois leurs pistolets et tirèrent à bout portant sur Rob. L'écho de la décharge résonna contre la muraille de la cité, mais quand la fumée se dissipa, les turcs constatèrent avec horreur que leur victime était toujours vivante et leur riait au nez.

Ils s'enfuirent en poussant des cris de terreur, et ils se dirigèrent vers les portes, qui s'entre-ouvrit brièvement pour les laisser entrer, car en les entendant, le peuple avait cru que la horde Tatare était déjà là.

En fait, ils n'étaient pas très loin de la vérité, car Rob, assis sur le sable et désespéré, aperçut une ligne sombre à l'horizon ; c'étaient les envahisseurs.

Alors qu'ils approchaient, il se maudit de s'être endormi dans un endroit aussi dangereux où il était si vulnérable, et où on avait pu si facilement lui dérober ses trésors.

« Je me doutais que ces inventions électriques causeraient ma perte, » se dit il tristement, « me voilà complètement démuni et réduit à l'impuissance dans un pays lointain, sans aucun espoir de retourner chez moi. Ils n'arriveront sûrement pas à me tuer, à moins qu'ils me retirent mon Habit de Protection. Et je n'arriverai jamais traverser cet affreux désert à pieds, je n'ai plus mes pilules nutritives, je mourrais de faim et de soif. »

Heureusement, il avait avalé une pilule avant de s'endormir, il ne risquait pas la faim dans l'immédiat. Mais il était complètement accablé, et il resta là à ruminer sur son funeste sort, quand soudain, il entendit un cri.

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1 Le Turkestan est une région d'Asie centrale située entre la mer Caspienne et le désert de Gobi (NdT).

2 Le Tian Shan est une chaîne de hautes montagnes d'Asie centrale (NdT).

3 Yarkand est une ville-oasis du Xinjiang, en Chine (NdT). 

4 On connait George Jonas Whitaker Hayward (1839–1870), un explorateur anglais qui a publié ses récits de voyage de Leh à Yarkand et à Kashgar en 1868 et 1869. Quant aux autres, auxquels Baum fait allusions, je n'ai rien trouvé sur eux (NdT)

5 Les Tatars sont une minorité ethnique de Turquie répartie dans l'Asie Mineure jusqu'en Russie.

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