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Dot et Tot au Pays Joyeux - Chapitre 16

L'infatigable Monsieur Double-Face

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Dot et tot chapitre 16 1

Quand la barque entra dans la Sixième Vallée du Pays Joyeux, les voyageurs virent une forêt d'arbres verts qui poussaient jusqu'à la berge.

Ils étaient tellement rapprochés les uns des autres qu'ils formaient presque un mur, et ils durent traverser près de la moitié de la Vallée avant d'atteindre une petite ouverture avec un chemin, qui partait du bord de l'eau à travers la forêt. La Reine y dirigea la barque, elle accosta doucement sur une plage de cailloux, puis ils descendirent tous et vinrent se tenir le chemin étroit.

« Il y a rien d'autre que des arbres, ici ? » demanda Tot.

« Si, bien sûr, il y a une charmante contrée au delà des arbres, » répondit la poupée de cire, « suivez moi, je vais vous guider. »

Ils suivirent lentement la Reine le long du chemin ombragé, au dessus de leurs têtes, les branches se rejoignaient et cachaient les rayons du soleil de l'après-midi. Dot et Tot l'apprécièrent, car ils avaient laissé leurs chapeaux dans la barque, ils ne portaient que leurs couronnes d'or.

Après avoir marché un moment, la Reine s'arrêta soudainement, si soudainement que Dot faillit lui rentrer dedans, quant à Tot, il se buta contre son épaule. Les enfants regardèrent ce qui se passait, il y avait un Alligator de près d'un mètre de long, vert avec de grandes écailles sur le dos, étendu en travers du chemin.

Tandis que Dot et Tot se demandaient s'il fallait avoir peur ou non, l'Alligator tourna sa tête vers la Reine et lui dit doucement :

« Marchez moi dessus, s'il vous plait ! »

« Avec plaisir. » répondit la Reine. Dès qu'elle eut posé le pied sur son dos, la pression produisit un léger couinement, et l'Alligator soupira d'aise. Puis il tourna la tête vers Dot et répéta :

« Marchez moi dessus, s'il vous plait ! »

« Pourquoi ? » demanda la fillette en hésitant.

« Pour entendre mon couinement, pardi ! » répondit l'Alligator, « si personne ne me marche dessus, je ne l'entends pas. Çà fait des années que je ne l'ai pas entendu, tous les jours, dès que je suis remonté, je rampe sur ce chemin. J'étais sûr qu'un jour ou l'autre j'allais rencontrer quelqu'un pour me piétiner1. Vous avez l'air plus lourde que la Reine, çà couinera peut être plus fort avec vous. »

« Je préfère que Tot passe en premier, » dit Dot, « j'ai peur de vous casser. »

« Ne vous inquiétez pas, on m'a si peu utilisé que je suis en excellent état. » dit l'Alligator.

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Tot passa en premier en appuyant son pied sur le corps de la créature, le couinement fut si aigu et si fort qu'il éclata d'un rire joyeux.

« Je crois bien que j'ai le plus beau couinement du monde, » dit l'Alligator,  « la personne qui m'a fabriqué connaissait bien son métier. »

« Qui vous a fabriqué ? » demanda Dot, intriguée.

Au lieu de répondre, l'Alligator cligna trois fois de l'œil gauche et murmura : « marchez moi dessus, s'il vous plait ! »

Dot mit son pied et pesa de tout son poids sur lui, étant plus lourde que Tot, cela fit couiner l'Alligator plus fort que jamais.

« Merci ! » s'exclama-t-il avec délice, « merci beaucoup ! Je n'ai jamais pris autant de plaisir depuis que l'on m'a fabriqué. »

Après lui avoir tous marché dessus, ils le laissèrent se prélasser avec un sourire béat au travers du chemin, et au bout de quelques minutes, ils parvinrent à une clairière, tout autour, il y avait des bâtiments en bois aux portes grandes ouvertes, à l'intérieur, on apercevait des box et des mangeoires destinés à toutes sortes d'animaux-jouets.

Au dessus d'une entrée, on pouvait lire "caserne de pompiers", sur une autre, "poste de police". Les bâtiments arrivaient à la hauteur des hanches de Dot, dans certains, il y avait des animaux-jouets et des garçons d'écurie-jouets, tandis que d'autres étaient complètement vides.

Au centre, il y avait un grand carrousel avec trente-quatre animaux en rangs sur le bord, ils portaient tous des selles et des brides en cuir rouge et bleu.

Il y avait des lions, des éléphants, des tigres, des cerfs, des chameaux, des chevaux, des ânes et plusieurs autres espèces, rangés deux par deux, tandis qu'un orgue de Barbarie diffusait une douce musique. Mais il n'y avait personne pour monter sur les animaux.

Entre le carrousel et les étables, il y avait une étroite voie de chemin de fer formant un cercle, le long duquel roulait un train de fer blanc, conduit par un cheminot en fer blanc, lui aussi, avec des wagons emplis de passager également en fer blanc parfaitement immobiles.

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Le reste de la clairière était occupé par des animaux de toutes sortes, certains complètement figés sur place, d'autres gambadant çà et là, faisant semblant de brouter de l'herbe, ou bien agitant leur queue de droite à gauche en secouant la tête de haut en bas. Il y en avait qui portaient de la véritable fourrure, d'autres étaient en fer blanc ou en bois peint.

Non loin de Dot et Tot, un groupe de chevaux à bascules en bois discutaient en se balançant doucement. Derrière eux, il y en avait un dont la bascule était cassée, il était étendu sur le côté avec un aspect misérable.

Au bord du chemin, un ours danseur en peluche noir se tenait sur une de ses pattes arrières, complètement immobile, la Reine s'avança vers lui et lui demanda :

« Où est Monsieur Double-Face ? »

« Dans la forêt, en train de remonter les panthères et au poste de police en train de huiler les véhicules, votre Majesté, » répondit l'ours danseur d'une voix affaiblie, « çà fait plus de trois heures que mon ressort est détendu, j'espère qu'au moins une moitié de Monsieur Double-Face  viendra bientôt me remonter, mais il a l'air particulièrement occupé, ce matin. »

« En effet, cette Vallée lui donne beaucoup de travail, » dit la Reine, « il devrait y en avoir au moins quatre comme lui. »

« Mais il n'a que deux bras quand il est réuni, » répondit l'ours, « il ne peut y avoir plus de deux parties de Monsieur Double-Face pour manier les clés. »

« C'est vrai, » dit la Reine, puis elle s'écria : « ah, voici venir Monsieur Double-Face Gauche ! »

L'homme le plus étrange qu'ils n'eurent jamais vu dans cet étrange royaume arrivait vers eux, il se déplaçait en sautant à une vitesse extraordinaire.

En fait, ce n'était pas un homme entier mais juste un demi-homme, comme si on avait coupé son corps en deux moitié égales en partant du sommet de son crâne.

Cela ne lui laissait qu'une seule oreille, un seul œil, la moitié d'un nez et d'une bouche, un seul bras et une seule jambe. Il était vêtu d'un habit rouge et tenait une clé de cuivre dans sa main.

« Bon..., votre Maj... » s'écria-t-il, « quel plai... de... voir ! »

En fait, il voulait dire : « Bonsoir, votre Majesté, quel plaisir de vous voir ! » mais il ne prononçait que la moitié des mots du fait que seule une moitié de lui parlait.

« Bonsoir, Monsieur Double-Face Gauche, » répondit la Reine, « je vois que vous êtes plus occupé que jamais. »

« En ef..., les ani... tom... touj... en pan..., » ce qui signifiait : « en effet, les animaux tombent toujours en panne. »

« De grâce, remontez moi, » supplia l'ours danseur d'un ton plaintif, « çà fait trois heures que je suis en panne. »

« Déso..., mais je... pas fai... autrem... » répondit jovialement Monsieur Double-Face Gauche, voulant dire par là qu'il était désolé et ne pouvait pas faire autrement. Il inséra la clé dans un petit trou dans le cou de l'ours et le remonta à fond.

Dès qu'il eut retiré la clef, l'ours se mit à bouger la tête de manière saccadée de droite à gauche, puis à lever une jambe l'une après l'autre comme s'il dansait.

« Voila qui est mieux, » dit il avec soulagement, « je devrais fonctionner jusqu'au coucher du soleil. »

« Voilà Monsieur Double-Face Droite. » annonça alors la Reine, et les enfants aperçurent l'autre moitié de l'homme qui venait à leur rencontre.

Il tenait aussi une clé dans sa main, quand il vit la Reine et ses compagnons, il accourut en sautant et en disant d'une voix saccadée : « ...soir ...tre ...jesté ! ...venue dans ...tre ...lée », ce qui signifiait : « Bonsoir, votre Majesté, bienvenue dans notre Vallée. » mais la côté droit de l'homme ne prononçait que la partie droite des mots.

Cependant, cette façon de parler prit fin, car la moitié droite de Monsieur Double-Face plaça son côté plat contre le côté plat de la moitié gauche, puis, en utilisant les deux mains, il les réunit toutes les deux avec de petits crochets de cuivre.

Monsieur Double-Face avait maintenant l'air d'un homme complet, bien que le côté gauche fut vêtu de rouge et le côté droit de blanc, ainsi, on distinguait bien la jonction entre les deux. Une fois qu'il se fut fixé solidement, ce qu'il avait fait avec une surprenante rapidité, l'homme dit : « quand Votre Majesté est arrivée, j'étais plus occupé que jamais, en effet, ces animaux, ces voitures et ce carrousel tombent très vite en panne, et ils requièrent toute mon attention, c'est la première fois que je me réunis depuis le début de la matinée. C'est tous les jours comme çà, mais je m'efforce d'accomplir mon devoir, ainsi, tout ce qui se trouve dans cette Vallée est en bon état et correctement entretenu. »

« Je n'en doute pas, Monsieur Double-Face. » répondit la Reine.

Dot et Tot, complètement héberlués par tout çà, étaient figés sur place, alors Monsieur Double-Face s'avança vers eux en brandissant sa clé et s'empressa de leur demander :  « voulez-vous que je vous remonte, mes amis ? On dirait que vous êtes tombés en panne. »

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« Non ! » s'écria Dot d'une voix perçante, « nous... nous sommes vivants ! »

« Oh, pardon ! » répondit l'homme en riant, « çà m'arrange de ne pas avoir à vous remonter, je suis tellement occupé qu'il faudrait que je me divise en trois ou quatre parties au lieu de deux. »

« Vous êtes marrant. » dit Tot en dévisageant Monsieur Double-Face.

« Merci, monsieur. » répondit l'homme en s'inclinant poliment.

« En quoi vous êtes fait ? » demanda le petit garçon avec curiosité.

« En bois, bien sûr, » répondit l'homme, « le bois est le meilleurs des matériaux et le plus solide à cet effet, mes pieds sont en hêtre, mes bras et mes jambes en frêne, mon corps en sapin et mon cœur en chêne. Quant à ma tête, elle est essentiellement en noisettier, mais ma chevelure est en érable madré, mes yeux en acajou et mes dents en noyer. »

« Oh ! » fit Tot.

« Vous avez sans doute remarqué ma voix assez particulière, » continua l'homme, « mes cordes vocales sont en écorce de bouleau2. »

« Oh ! » fit Tot.

« Mes mains sont en hévéa, l'arbre à caoutchouc, ainsi, je peux facilement remuer les doigt pour actionner les clés qui servent à remonter les mécanismes. »

« Oh ! » fit Tot.

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« Ma parole, » commenta Dot, « vous êtes un véritable puzzle3. »

Cette réflexion fit rire la Reine qui dit :  « Monsieur Double-Face, auriez vous la bonté de nous cueillir quelques fruits et quelques noisettes dans la forêt pour notre souper ? En vous attendant, nous allons faire un tour de manège. »

L'homme s'inclina et courut aussitôt dans la forêt pour accomplir cette tâche. Dot et Tot suivirent alors la Reine vers le carrousel.

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1Dans le texte original, "tread on me", peut être une allusion au Gadsden Flag (NdT).

2Dans le texte original, Monsieur Double-Face ne dit pas que sa voix est particulière, mais qu'elle est forte, du fait que ses cordes vocales sont en écorce de bouleau, en anglais "birch bark" ; Baum joue sur le mot "bark" qui peut signifier aussi aboiement (NdT).

3Dans le texte original, Dot dit à Monsieur Double-Face : « si vous ne nous aviez pas dit tout çà, on aurait pu croire que vous étiez en hamamélis. », qu'on appelle aussi noisetier des sorcières, or, l'anglais a gardé ce nom : "witch-hazel" que Baum a utilisé dans ce passage pour souligner la nature magique du personnage (NdT).

 

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