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L'Agent Geai - 6

Une drôle d'aventure

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Agent geaic1

« En parlant d'humains, » intervint le Coucou, d'une voix un peu discordante qui ne manquait pourtant pas de charme, « cela me rappelle une drôle d'aventure qui m'est arrivée. Un jour, alors que j'étais dans mon nid, j'étais très jeune à l'époque, un homme est apparu soudainement devant moi. Vous devez savoir que ce nid, construit dans un sapin par mon imprudente mère, ne se trouvait pas très haut, si bien que l'humain me regardait droit dans les yeux.

La plupart d'entre vous ont déjà vu des humains, mais c'était le plus étrange que l'on puisse imaginer. Il y avait des poils blancs sur sa figure, ils étaient si longs qu'ils lui arrivaient à la taille, et devant ses yeux, il y avait des disques de verre qui brillaient bizarrement. J'étais tellement stupéfait en voyant cette drôle de créature, que je restai là, à la regarder sans bouger, ce qui était une erreur, car j'entendis un bref whish, et aussitôt, un filet me tomba dessus. J'étendis les ailes et tentai de m'envoler, mais trop tard. Je me débattis en vain et finis par me résigner, essoufflé et désespéré.

Cependant, mon ravisseur n'avait pas l'intention de me tuer, au contraire, il essaya de me rassurer, et il me transporta délicatement sur des kilomètres, jusqu'à un village. Il monta dans une petite chambre, tout en haut d'une grande maison, c'était là qu'il vivait. Le sol était encombré d'outils et de morceaux de bois, et sur des étagères, se trouvaient d'étranges petites choses qui faisaient tic-tac !

L'homme me mit dans une cage en bois, au fond de laquelle je gisais plus mort que vif, à cause de ces choses bruyantes qui me terrifiaient, ainsi que de l'appréhension d'être torturé ou tué. Mais l'homme aux yeux de verre m'apporta de bonnes choses à manger, ainsi que de l'eau fraiche pour apaiser ma soif. Le jour suivant, mon cœur battait moins fort, et j'étais assez calme pour me mettre debout dans ma cage et regarder autour de moi.

Mon ravisseur à barbe blanche était assis sur un banc, il avait retiré son manteau et son chapeau, et il était occupé à assembler des rouages et des ressorts pour les insérer dans une boîte en bois. À chaque fois qu'il en finissait une, elle se mettait à faire tic-tac ! tic-tac ! Comme les autres choses sur l'étagère, et ce bruit incessant m'intriguait tellement que je dressai la tête et me mis à faire : coucou ! coucou !

C'est ça ! s'écria le vieil homme avec ravissement, c'est exactement ça, un vrai Coucou, et non une de ces minables imitations.

Sur le moment, je ne compris pas ce qu'il voulait dire, mais après avoir travaillé sur son établi toute la journée, il déposa un oiseau de bois dans ma cage, il était sculpté et peint à mon image. Il avait un air si réaliste que je me mis à battre des ailes en faisant coucou ! coucou ! Alors l'homme pressa un petit soufflet sous l'oiseau et il fit coucou ! à son tour. Mais cela sonnait tellement faux que j'éclatai de rire. Le vieil homme aux yeux de verre secoua tristement la tête en disant : Ça ne va pas, ça ne va pas du tout. 

Il passa la journée suivante à essayer de faire dire coucou ! correctement à son oiseau de bois. À la fin, il parvint à lui donner une voix tout à fait réaliste, au point que je fus très impressionné en l'entendant. Cela eut l'air de plaire à mon ravisseur, alors il le mit dans une des boîtes de l'étagère. Plus tard, une petite porte s'ouvrit, l'oiseau de bois bondit à l'extérieur, cria : coucou ! coucou ! coucou ! puis il retourna à l'intérieur et la porte se referma avec un claquement sec.

Bravo !  s'écria le vieil homme chenu, mais cela me contrariait, car je croyais que l'oiseau de bois me provoquait en imitant les vrais Coucous. Je lui répondis de venir se battre, mais il ne répondit pas. Une heure plus tard, et à chaque heure suivante, il répéta son manège, mais il retournait se réfugier derrière sa porte chaque fois que je le défiais.

Le jour suivant, l'homme s'était absenté, et je n'avais rien à manger. Je commençais à avoir faim et à me sentir mal. Je griffais les barreaux de bois et tentais de les tordre avec mon bec. Enfin, à ma grande joie, l'un d'eux commença à céder, et je parvins à sortir de la cage en me tortillant.

Mais je n'en étais pas plus avancé, car les fenêtres et la porte étaient fermés. Cela me mit dans une grande rage, en plus de ça, ce misérable oiseau de bois continuait à sortir de sa boite de temps à autre pour me narguer avec ses coucou ! et à se réfugier aussitôt derrière sa porte sans oser me faire face.

Agent geai913

Cela me rendit fou furieux, et je décidai de me venger. Dès que l'oiseau de bois refit son apparition, je fonçai sur lui et le fit tomber de sa petite plate-forme avant qu'il n'ait eu le temps de pousser son cri. Il tomba sur le sol et se brisa une aile, en un clin d'œil, je me précipitai sur lui et le griffai jusqu'à ce qu'il ne lui reste plus une parcelle de peinture. Sa tête finit par tomber aussi, ainsi que ses pattes et son autre aile, et quand j'en eu fini, personne n'aurait pu deviner qu'il avait été une imitation exacte de moi-même.

Me voyant ainsi victorieux, je poussai un coucou ! de triomphe, juste à ce moment là, la petite porte de la boite s'ouvrit et la plate-forme où se tenait l'oiseau de bois sortit, resta un moment immobile. Je me précipitai pour me percher dessus, poussai un nouveau coucou ! de joie, mais à ma grande horreur, la plate-forme sur laquelle je me tenais rentra à l'intérieur de la boite en m'emmenant avec elle, puis la porte se referma avec un claquement et je me retrouvai dans le noir complet.

Je battai désespérément des ailes, mais c'était inutile, je me trouvais dans une prison pire qu'une cage, si petite que je pouvais à peine me retourner. Je serais mort de peur et de désespoir si je ne m'étais souvenu que, régulièreent, la porte s'ouvrait pour faire sortir l'oiseau le temps qu'il dise coucou ! avant de se refermer. La prochaine fois où elle s'ouvrirait, je pouvais sortir.

J'attendis patiemment dans le petit trou sombre, écoutant le tic-tac ! régulier de la machinerie derrière moi, et tâchant de garder mon calme. Au bout d'un moment, j'entendis le vieil homme rentrer dans la pièce et pousser un cri en s'apercevant que son Coucou captif s'était enfui de sa cage. Il n'aurait jamais deviné où je me trouvais, je gardai le silence, riant sous cape en pensant à la surprise qui l'attendait.

Au bout de ce qui me sembla une éternité, j'entendis le cliquetis de la porte qui s'ouvrit devant moi, puis la plate-forme sur laquelle je me trouvais sortit, je battis des ailes et fis : coucou ! coucou ! aussi fort que je pus. Le vieil homme se tenait juste en face de moi, bouche-bée de surprise, croyant que c'était son oiseau de bois. Il s'écria à nouveau :  bravo ! en claquant des mains, alors je volai tout droit sur sa figure et agrippai ses cheveux blancs en tirant de toutes mes forces en criant.

Il cria à son tour de surprise et tomba à la renverse, atterrissant sur son derrière avec un bruit sourd. Je filai vers l'établi, alors il réalisa que je n'étais pas l'oiseau en bois mais le vrai.

Bon sang ! dit il, j'ai laissé la fenêtre ouverte, et ce filou va s'échapper ! 

En effet, la fenêtre était grande ouverte, ce qui me transporta de joie. Avant que le vieil homme n'ait eu le temps de se remettre debout pour la refermer, j'étais déjà perché sur le rebord, et après un coucou ! d'adieu, j'étendis les ailes et m'envolai au loin.

Je ne suis jamais retourné voir comment il a apprécié le tour que je lui avait joué, mais j'ai souvent ri en repensant à sa tête quand un véritable Coucou est sorti de la boite au lieu de son imitation en bois. »

Dès que le Coucou eut fini son histoire, les autres oiseaux éclatèrent tous d'un rire bruyant, mais Bouboule les interrompit en disant d'un ton grave :

« Il n'empêche que cet homme était adroit pour fabriquer une pendule Coucou, j'en ai vu une, une fois, c'était formidable, le Coucou disait l'heure qu'il était à chaque fois. »

« Était-il en bois ? » demanda le Geai.

« Je sais pas, » répondit le Garçon-Alouette, « mais bien sûr, c'était pas un vrai oiseau. »

« Cela montre à quel point les humains nous admirent, nous autres oiseaux, » dit le Goglu1, « ils font des portraits de nous, aiment nous garder en cage pour nous entendre chanter, et ils noux portent même sur leurs chapeaux quand nous sommes morts. »

« Je trouve ça horrible, » dit le Chardonneret avec un frisson, « cela montre seulement que les humains sont nos pires ennemis. »

« N'oubliez pas les humaines, » fit remarquer Étincelle, « ce sont les femmes qui portent des oiseaux sur leurs chapeaux. »

« L'humanité, » dit gravement Robin le Rouge-Gorge, « est l'espèce la plus destructive et sanguinaire de la création. Les êtres humains ne tuent pas seulement pour manger, mais aussi par vanité et volonté de se rendre intéressants. J'ai même entendu dire qu'ils tuaient pour le plaisir, incapables de maitriser leurs pulsions meurtrières, ils sont encore plus cruels que les serpents. »

« Ces pauvres créatures ont des excuses, » fit observer le Geai, « car la nature les a rendus dépendants des animaux, des oiseaux et des poissons. N'ayant pas de fourrure ni de plumes pour protéger leur peau fragile, ils doivent porter des vêtements faits de la laine des moutons, des peaux de phoques, de castors, de loutres et même de simples rats musqués. Ils couvrent leurs pieds et leurs mains avec des peaux de bêtes, ils dorment sur des plumes d'oiseaux, ils se nourrissent de la chair des bêtes, des oiseaux et des poissons. Aucune créature n'est aussi dépendante des autres comme l'être humain, il est, par conséquent, le plus grand destructeur du monde. Pendant que vous critiquez les humains, mes amis, n'oubliez pas que les oiseaux eux-mêmes, peuvent aussi être les pires ennemis des autres oiseaux. »

« Mensonge ! » s'écria la Pie, d'un ton indigné.

« Si j'étais vous, je ne la ramènerais pas trop. » rétorqua le Geai, qui agita sa matraque de manière suggestive en lui jetant un regard furibond.

« C'est de la diffamation, » protesta l'oiseau noir et blanc, « vous ne pouvez quand même pas m'accuser de faire du tort aux autres oiseaux. »

« Si vous êtes innocente, pourquoi sommes nous obligés d'avoir un Agent de Police ? » demanda sèchement le Troglodyte.

« Dites moi, est ce que tous les grands oiseaux sont méchants avec les petits ? » demanda Étincelle en s'adressant au Geai.

« Eh bien,, » répondit l'Agent, « c'est la même chose chez nous que chez les humains, il y en a des bons et des mauvais, et il faut garder un œil sur ces derniers. Les humains nous détruisent sans raison, les autres animaux comme le serpent rusé nous traquent et volent nos œufs pour se nourrir, mais ce sont des prédateurs déclarés, et nous savons comment les éviter. Nos plus dangereux ennemis sont ceux de notre propre espèce, au lieu de protéger leurs frères et leurs sœurs, ils volent nos œufs et massacrent nos petits. Ce ne sont pas toujours les plus grands qui commettent ces crimes, le Corbeau est connu pour sa traîtrise, la Pie-Grièche2 est connue sous le surnom d'Écorcheur, et il y en a beaucoup d'autres que nous soupçonnons de vivre aux dépens de leurs semblables. »

« C'est affreux ! » s'exclama la Fille-Alouette.

Tous les oiseaux étaient nerveux et mal à l'aise en écoutant cette conversation, ils se lançaient des regards soupçonneux les uns aux autres. Mais le Geai les apaisa en disant :

« Après tout, nous imaginons parfois plus de mal qu'il n'en existe vraiment, et il nous arrive d'accuser nos voisins à tort. Mais les mères-oiseaux savent ce que c'est de trouver leur nid dépouillé en leur absence, si elles suspectent un voisin au lieu d'un animal de proie, c'est naturel, puisque beaucoup d'oiseaux ne sont pas dignes de confiance. Il y a des lois dans cette forêt, bien sûr, mais les coupables arrivent souvent à s'enfuir. Je vais vous raconter une tragèdie survenue la semaine derrière, vous verrez à quel point on peut parfois se tromper. »

Agent geai914

1Le Goglu ou Goglu des près (NdT).

2Pie-Grièche, il en existe plusieurs espèces, comme la Pie-Grèche Écorcheur dont il est question ici et dans le chapitre suivant (NdT)

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