L'Agent Geai - 7

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« Dans la forêt, il n'y a pas de mère plus aimante que la Mésange Bleue¹, qui est une cousine de la Mésange à Tête Noire², » continua l'Agent, « au début du printemps, Tom Mésange et sa femme Nancy élirent domicile dans le tronc d'un orme, à un peu plus d'un kilomètre d'ici. Évidemment, la première chose que fit Nancy, ce fut de pondre six œufs magnifiques, blancs avec des tâches brunes. Tom en était aussi fier que son épouse, et comme le nid était dissimulé dans un endroit sûr, ils s'envolèrent tous deux pour chercher des chenilles sans penser au danger. Mais quand ils revinrent une heure plus tard, quelle ne fut leur affliction en trouvant le nid vide, les œufs avaient disparu. Au pied de l'arbre, il y avait des morceaux de coquilles, mais le voleur avait disparu.

Tom Mésange était bouleversé par ce crime affreux, il vint me voir aussitôt pour porter plainte, mais bien entendu, je n'avais aucune idée de l'identité du coupable. J'interrogeai tous les oiseaux connus pour vol d'œufs, tous nièrent avoir commis ce crime. Nancy Mésange se résigna à pondre d'autres œufs, et peu après, il y en eu six nouveaux au fond du nid.

Désormais, ils étaient plus prudent en quittant leur demeure, mais au bout d'un moment, le danger leur sembla loin. Par un beau matin, ils volèrent jusqu'au ruisseau pour boire et se baigner, mais à leur retour, ils trouvèrent, une fois de plus, leur demeure dépouillée. Sur les six œufs, il n'en restait pas un seul, et tandis que Nancy sanglotait et se lamentait, Tom scruta les environs et non loin de là, il remarqua une Pie-Grièche³ solitaire perchée sur une branche

« C'est quoi, une Pie-Grièche ? » demanda Bouboule.

« C'est un oiseau qui ressemble beaucoup à cet Oiseau-Moqueur perché en face de vous, mais il a une mauvaise réputation dans la forêt, ce n'est pas pour rien qu'on le surnomme Écorcheur³. J'avoue que je suis toujours obligé de garder un œil sur lui, car je m'attends toujours à ce qu'il commette un délit. Tom Mésange avait toutes les raisons de croire que c'était l'Écorcheur qui avait mangé les œufs de Nancy, c'est pourquoi il me demanda de l'arrêter. Mais l'Écorcheur clama son innocence, et je n'avais aucune preuve contre lui.

Avec tout son courage et sa persévérance maternelle, Nancy pondit à nouveau des œufs dans le nid, désormais, ils ne les abandonnaient plus une minute. Il y avait toujours elle ou Tom qui était présent, quant à moi, je surveillai l'Écorcheur de près, et constatai qu'il ne s'approchait jamais du nid des Mésanges.

Un beau jour, grâce à notre circonspection, les œufs finirent par éclore, donnant naissance à six petites Mésanges menues avec de grosses têtes et de tout petits corps, qui reposaient contre la poitrine de Nancy. La maman les trouvait magnifiques, bien sûr, et une multitude d'oiseaux s'attroupa autour de leur nid pour la féliciter les parents, et entonner un chant de bienvenue pour les nouveaux-nés.

Quand les enfants eurent un peu grandi, il ne semblait plus nécessaire de surveiller le nid de si près, et comme ils avaient bon appétit, il fallait une bonne quantité d'insectes et d'œufs de papillons pour les rassasier. Ce jour là, Tom et Nancy volèrent loin pour trouver de la nourriture, de retour chez eux, à leur grande horreur, leurs six petits avaient disparu, laissant le nid vide et glacial. Nancy faillit s'évanouir de chagrin, et elle poussa des lamentations déchirantes, Tom Mésange, quant à lui, était fou de rage, il vint me trouver pour réclamer vengeance.

« Si tu es un Policier digne de ce nom, » me dit-il, « trouve ce criminel qui m'a pris mes bébés et punis le. »

Je mis donc à chercher partout et découvris, non loin du nid des Mésanges, quatre de leurs petits, tous morts, chacun d'eux empalé sur les épines d'un petit buisson. J'en conclus qu'il s'agissait bien de l'Écorcheur, qui a l'habitude de faire ce genre de chose, tuant plus qu'il ne pouvait manger, et plantant ses victimes sur des épines pour revenir les dévorer plus tard.

Cela me mis, à mon tour, dans une grande colère, alors je filai au nid de l'Écorcheur, où je le trouvai blessé de partout, ses plumes avaient été arrachées par endroits.

« Que t'es-t-il arrivé ? » lui demandai-je.

« Je me suis battu avec la Belette hier soir, » répondit-il, « nous sommes tous les deux dans un sale état, aujourd'hui. »

« Pourtant, » dis-je sévèrement, « tu as eu assez de force pour tuer les six petites Mésanges et en manger deux. »

« Ce n'est pas moi, » protesta-t-il, « mes ailes sont trop raides pour que je puisse voler. »

« Ne me raconte pas d'histoires, » lui dis-je, « on en a trouvé quatre, tous morts et accrochés aux épines d'un buisson, et on sait que ceux de ton espèce ont l'habitude d'agir ainsi. »

En entendant cela, l'Écorcheur fut saisi de crainte.

« Croyez-moi, je vous dis la vérité, » implora-t-il, « je ne comprends pas ce qui s'est passé, je vous jure que je suis innocent ! »

Je l'arrêtai néanmoins, et le forçai à me suivre jusqu'à l'Arbre du Jugement, où tous les oiseaux s'étaient rassemblés. Il semblait vraiment handicapé, je voyais bien qu'il avait du mal à voler, mais il me fallait accomplir mon devoir. On sélectionna un jury de douze oiseaux, le Juge Bouvreuil prit place sur un rameau et le procès commença.

Tom Mésange accusa l'Écorcheur de meurtre, ainsi que Nancy, qui sanglotait sans cesse. J'apportai aussi mes arguments, mais le prisonnier ne cessa de clamer son innocence, jurant ne pas avoir quitté son nid depuis sa bagarre avec la belette.

Mais personne n'avait de sympathie pour lui ni ne le croyait, comme c'est souvent le cas avec ceux qui ont mauvaise réputation. Le jury le déclara coupable et le condamna à mourir au coucher du soleil. Nous étions tous prêts à nous jeter sur le prisonnier et à le déchiqueter avec nos becs et nos griffes. Alors que nous attendions le crépuscule, Will Moineau arriva à l'Arbre du Jugement et dit :

« Salut ! Qu'est ce qui passe ici ? »

« Nous nous apprêtons à exécuter un criminel. » répondit le Juge.

« Qu'est ce qu'il a fait ? » demanda Will en regardant l'Écorcheur.

« Il a tué les petits des Mésanges ce matin, il en a mangé deux et accroché les quatre autres aux épines d'un buisson. » expliqua le Juge.

« Non ! » s'écria Will Moineau, « c'est pas l'Écorcheur qui a fait ça ! J'ai tout vu, c'est cette maudite Belette, celle qui vit dans la souche de sapin, c'est elle qui a commis cet horrible meurtre. »

Tous les oiseaux se mirent à piailler bruyamment, tandis que l'Écorcheur clamait plus que jamais son innocence. Alors le Juge dit solennellement : « Will Moineau dit toujours la vérité. Libérez le prisonnier, car nous nous sommes trompés sur son compte. Nous devons porter notre vindicte sur la belette. »

Nous nous envolâmes et nous rendîmes à la souche de sapin, nous connaissions bien cet endroit, en arrivant, nous trouvâmes la belette, assise à l'entrée de son trou, en train de nous narguer.

« C'est bien la belette que j'ai combattue, » déclara l'Écorcheur, « vous pouvez voir que la fourrure de sa tête et de son dos que j'ai arrachée avec mon bec. »

« En effet, » répondit la Belette, « et pour me venger, j'ai tué les petites Mésanges. »

« Les avez vous accrochées aux épines ? » demanda le Juge Bouvreuil.

« Oui, » confirma la Belette, « j'espérais que vous accuseriez l'Écorcheur et que vous le tuiez, ainsi, j'aurais eu ma revanche. »

« Nous avons bien failli tomber dans le piège, » répondit le Juge, « mais Will Moineau a été témoin de votre acte et il nous l'a rapporté juste à temps pour sauver la vie de l'Écorcheur. Mais dites moi, avez vous aussi mangé les œufs de Nancy Mésange ? »

« Bien sûr, » répondit la Belette, « ils étaient même très bons. »

En entendant cela, Tom Mésange devint fou de rage et se jeta sur la Belette, qui rentra aussitôt dans son trou et disparut.

« Je vous condamne à la peine de mort ! » lui cria le Juge.

« Très bien, » rétorqua la Belette en sortant le bout de son nez du trou, « mais il faudra m'attraper avant de me tuer. Retournez chez vous, mes petits oiseaux, vous ne faites pas le poids face à une Belette ! »

Bien qu'elle fût hors de vue, nous savions qu'elle était cachée, bien à l'abri dans la souche, nous ne pouvions pas la suivre, car le corps de la Belette était mince et souple. Mais je n'ai pas vécu toute ma vie dans la forêt sans avoir appris deux ou trois choses, et je soumis un plan au Juge Bouvreuil qu'il approuva. Il envoya aussitôt des messagers chercher les Piverts aux becs d'ivoire, et bientôt, quatre de ces grands oiseaux arrivèrent et acceptèrent de nous aider. Ils se mirent à déchiqueter la souche avec leurs becs robustes, des copeaux volaient de toutes parts. La nuit n'était pas encore tombée quand on tira la perfide Belette de son trou et qu'elle se retrouva à la merci des oiseaux à qui elle avait fait du tort. Nous nous jetâmes tous sur elle et elle mourut presque instantanément.

« Et l'Écorcheur, qu'est ce qu'il est devenu ? » demanda Étincelle.

« Il a quitté la forêt le lendemain, » répondit l'Agent Geai, « car, même s'il était innocent de ce crime, il avait mauvaise réputation, et il savait que notre peuple n'avait aucune confiance en lui. »

« C'est une chance que Will Moineau soit arrivé à temps, » dit la Fille-Alouette, « mais toutes ces histoires ont du vous donner faim, j'aimerais donc vous inviter à une petite collation. »

Les oiseaux étaient fort surpris par cette invitation, même l'Agent Geai se posait des questions. Étincelle chuchota à l'oreille de Bouboule, puis les deux enfants-oiseaux s'envolèrent jusqu'à leur panier et revinrent les pattes chargées de morceaux de biscuits. Ils répétèrent l'opération plusieurs fois, distribuant des miettes de ce met à tous leurs visiteurs ailés, qui les dévorèrent avec grand appétit, déclarant que c'était délicieux.

Quand le festin fut terminé, l'Agent proposa :

« Maintenant, si nous allions au ruisseau ? Son eau fraîche va bien nous désalterer. »

Ils s'envolèrent tous en même temps, formant une joyeuse nuée multicolore, les Enfants-Alouettes se joignirent à eux, fendant les airs avec autant de facilité que leurs nouveaux amis. Peu après, ils parvinrent à un ruisseau clapotant qui sillonait à travers la forêt, toute cette gente à plume but à satiété, certains posés le long du bord, d'autres sur des pierres à fleur d'eau.  

Sur le moment, les enfants eurent peur de tomber dans le ruisseau, mais ils prirent courage, surtout en voyant la Grive et le Bouvreuil se baigner dans l'eau fraîche avec délice, Bouboule suivit leur exemple, et Étincelle se joignit à eux.  

Les oiseaux dirent au revoir aux Enfants-Alouettes, leur promettant de revenir leur rendre visite, puis ils prirent tous leur envol, à l'exception du Geai, qui voulait raccompagner Étincelle et Bouboule chez eux pour leur sécurité. 

Ils le remercièrent pour cette attention, et une fois qu'ils se retrouvèrent sur la branche voisine de leur nid, le Geai leur dit au revoir à son tour et fila vers le ciel, pour une dernière patrouille au dessus de la forêt avant la nuit.

¹La Mésange bleue est une espèce de passereaux de la famille des paridés, On les trouve principalement dans l'hémisphère Nord et en Afrique, voir l'article Wikipédia sur la Mésange bleue (NdT).

²La Mésange à tête noire est une espèce de passereaux de la famille des paridés. C'est la plus commune des mésanges d'Amérique, voir l'article Wikipédia sur la Mésange à tête noire (NdT).

³Pie Grièche (note 2 du chapitre 6) voir l'article Wikipédia sur la Pie Grièche Écorcheur dont il est question dans ce chapitre  (NdT).

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