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L'Agent Geai - 8

Madame Bouh

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Les Enfants-Alouettes étaient perchés côte à côte, non loin de leur nid douillet, le crépuscule tombait et la pénombre envahissait la forêt.

« Étincelle, » dit Bouboule, « comment tu te sens ? »

« Ça va, » répondit la fillette, « en plein jour c'est pas mal, mais la nuit, c'est pas pareil. Cette boule d'herbe sèche mêlée de branchettes et de feuille qu'ils appellent un nid, ça vaut pas mon petit lit blanc à la maison, Bouboule. »

« Ni le mien, » acquiesça-t-il, « dis moi,  Étincelle, comment on va faire notre prière sans joindre les mains, comme on en a pas ? »

« Bouboule, » répondit la fillette, « les prières, c'est plus dans notre cœur que dans nos mains. C'est pas ce qu'on fait qui compte, c'est ce qu'on ressent. Mais ce qui m'embête le plus, c'est ce que nos familles vont penser en nous voyant pas revenir. »

« Ils vont peut être nous chercher, » suggéra Bouboule, « ils vont sans doute passer sous cet arbre et nous appeller. »

« S'ils viennent, » dit Étincelle, « nous volerons directement vers eux. »

« Je vous conseille d'éviter de voler la nuit, » dit soudain une voix guillerette à côté d'eux ; c'était Wisk l'Écureuil qui avait sorti la tête du creux où il vivait, « c'était votre fête aujourd'hui, » continua-t-il, « ils se sont tous bien conduits pendant que l'Agent était là, mais certains d'entre eux ne seront pas aussi amicaux si vous les rencontrez seuls. »

« Il y a des oiseaux qui pourraient nous faire du mal ? » demanda la fillette, surprise.

« Eh bien, j'ai vu une fois une Pie rencontrer une Grive et repartir seule, » répondit Wisk, « les Troglodytes et les Mésanges à Tête Noire évitent le plus possible le Coucou, car il aime beaucoup se nourrir d'êtres vivants. Mais l'Agent de Police maintient l'ordre quand de grands oiseaux sont dans les parages, ainsi, ils hésitent à enfreindre la loi. C'est quelqu'un de bien, cet Agent Geai, même les Écureuils sont contents de le savoir présent dans la forêt. »

« Pourquoi ? » demanda Bouboule.

« Parce que nous craignons aussi certains oiseaux, » répondit Wisk, « la dame du troisième niveau, par exemple, Madame Bouh, la Chouette, on dit que de temps en temps, elle ne se refuse pas de l'Écureuil pour son repas de minuit, lorsque les souris et les scarabées se font rares. Elle va bientôt se réveiller, je dois faire attention de ne pas m'éloigner de chez moi. »

« Non mais dites donc ! » s'écria une voix discordante venue du dessus, « que racontez vous encore comme ragots, Monsieur Wisk ? »

L'Écureuil disparut en un clin d'œil, mais un instant plus tard, il ressortit la tête et jeta un regard vers le haut de l'arbre. Là, sur une branche devant son trou, était perchée la Chouette grise, en train de se lisser les plumes. Il faisait pratiquement noir à cette heure, et les yeux jaunes et grands ouvert de Madame Bouh brillaient dans la pénombre.

« Quelles bêtises allez vous mettre dans la tête de ces petits innocents ? » continua-t-elle sur le ton de la réprimande.

« Ce ne sont pas des bêtises, » protesta Wisk, « vous ne pouvez rien contre les Enfants-Alouettes, car ils sont sous la protection de l'Agent Geai, et il vous punirait sévèrement si vous leur faisiez du mal. Mais mon cas est différent ; les lois des oiseaux ne protègent pas les Écureuils, et quand vous êtes dehors, ma chère Madame Bouh, je préfère rester à l'abri chez moi. »

« Cela ne m'étonne pas, » répondit la Chouette en riant, « vous êtes timide et suspicieux de nature, mon cher Wisk, et vous oubliez que je vous connais depuis longtemps et que je ne vous ai toujours pas mangé. »

« C'est parce que j'ai fait attention. » rétorqua l'Écureuil.

« De toute façon, je n'en ai pas après vous ce soir, cher voisin, ni après les oiseaux. Je connais un endroit où se trouvent sept souris bien grasses, et tant qu'il y en aura, vous n'aurez rien à craindre. »

Agent geai918

« Je suis ravi de l'apprendre, » répliqua Wisk, « je souhaite que vous trouviez sept-cent souris pour satisfaire votre appétit. Cependant, je ne vais pas courir de danger inutile, de toute façon, il est l'heure que je me couche. Bonne nuit, madame Bouh, bonne nuit, petits Enfants-Alouettes. »

La Chouette ne répondit pas, mais Étincelle et Bouboule souhaitèrent une bonne nuit à leur ami l'Écureuil, bondirent dans leur nid et se blottirent l'un contre l'autre.

La lune se levait au dessus des arbres, inondant l'obscurité de la forêt de sa lumière argentée. Les enfants ne dormaient pas encore, leur nouvelle vie était tellement étrange et extraordinaire qu'ils n'arrivaient pas à fermer l'œil. C'est pourquoi ils furent plutôt contents quand la Chouette grise vint se poser sur la branche voisine de leur nid et engagea la conversation avec eux.

« Je suis habituée aux calomnies, très chers, » dit elle d'un ton plus plaisant qu'elle avait utilisé jusque là, « je me moque bien de ce que mon voisin Wisk raconte sur moi. Mais je ne voudrais pas que vous ayez une mauvaise opinion de la famille des Chouettes, je peux vous assurer que nous sommes aussi gentilles que les autres créatures à plumes de la forêt, y compris les Oiseaux de Paradis1. »

« Je n'en doute pas, » s'empressa de répondre Étincelle, « vous êtes trop douce et belle pour être mauvaise. »

« Ce n'est pas une question d'être belle, » répondit la Chouette grise, que ce compliment avait manifestement flattée, « c'est dans la nature des Chouettes d'être gentilles et sympathiques. Ceux qui ne nous connaissent pas bien disent des choses affreuses sur notre compte, parce que nous volons la nuit, quand la plupart des autres oiseaux sont endormis, et que nous dormons le jour, quand ils sont éveillés. »

« Pourquoi vous faites ça ? » demanda Bouboule.

Parce que la lumière nous fait mal aux yeux. Cependant, même si nous sortons la nuit, nous ne chassons que nos proies naturelles, et nous obeissons plus que quiconque à la Grande Loi. »

« C'est quoi la Grande Loi ? » s'enquit, Étincelle, intriguée.

« L'amour, c'est la loi morale au dessus de toutes les lois conçues par les créatures vivantes. La forêt entière est régie par l'amour plus que par la peur. Ça doit vous sembler étrange, sachant que certains animaux mangent des oiseaux, et que certains oiseaux mangent des animaux, et les horrible créatures rampantes mangent les deux, cependant, ici, nous sommes si proches de la Nature que l'amour et la tendresse envers nos semblables nous influencent plus qu'ils n'influencent l'humanité, cette race négligente et inconsciente qui est la vôtre. Les résidents de cette forêt sont de bons parents, des voisins attentionnés et des amis fidèles, que dire de mieux ? »

« Rien, je suis convaincue que c'est vrai. » répondit la fillette.

« Là bas, au Pays du Paradis, » continua la Chouette d'un ton rêveur, « les oiseaux ne sont pas obligés de prendre des vies pour vivre eux-mêmes, c'est pourquoi ils nous considèrent comme des sauvages. Mais je crois que nous avons une aussi bonne nature que les Oiseaux de Paradis. »

« Où est ce Pays du Paradis dont vous parlez ? » demanda Étincelle.

« Juste au centre de notre forêt. C'est un endroit magique, il n'y a aucun mur ni aucun grillage qui le protège des intrusions, juste un vent fort qui repousse tous les oiseaux loin de ce pays magnifique, sauf les Oiseaux de Paradis. Une légende raconte que des humains y vivaient à une époque, mais qu'ils en ont été chassés pour une raison inconnue. Mais les oiseaux ont pu y rester, car ils n'avaient commis aucun mal. »

« J'aimerais bien y aller. » dit Bouboule.

« Moi aussi, » répondit la Chouette grise en soupirant, « mais ça ne sert à rien que j'essaie d'entrer dans le Paradis des Oiseaux, le vent me repousserait aussitôt. Mais il commence à faire noir, et je dois aller chercher ma nourriture. Madame Opossum2 et moi avons prévu de chasser ensemble cette nuit. »

« C'est qui, Madame Opossum ? » demanda la fillette.

« Un animal qui vit dans un creux au pied de cet arbre, » répondit la Chouette, « c'est une bonne créature qui chasse la nuit, comme moi. Elle est assez lente, mais comme elle est près du sol, elle peut repérer les souris mieux que moi, et elle m'appelle pour l'attraper. Nous nous entraidons ainsi, le seul inconvénient chez madame Opossum, c'est qu'elle a quatre petits qu'elle transporte dans sa poche partout où elle va, et ils ont autant besoin de manger que leur mère. Les Opossum ont donc cinq bouches à nourrir et moi une seule, cela nous prends beaucoup de temps de trouver tout ce qu'il faut à tout le monde. »

« C'est très gentil de votre part de l'aider. » remarqua Étincelle.

« Elle m'aide aussi, » répondit joyeusement la Chouette, « maintenant, je vous dis bonne nuit, très chers, vous dormirez sans doute encore quand je reviendrai. »

Sur ces mots, Madame Bouh prit son envol, ses ailes battaient silencieusement, donnant l'impression d'un fantôme s'évaporant dans la nuit.

Les Enfants-Alouettes contemplèrent la lune argentée un moment, puis les paupières d'Étincelle tombèrent et elle s'endormit profondément, Bouboule ne tarda pas à suivre son exemple.

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1Oiseau de Paradis voir l'article Wikipédia sur le Paradisier (NdT).

2Voir l'article Wikipédia sur l'Opossum (NdT).

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