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La Clef-Maîtresse - 5

L'île des cannibales

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The master key 5

Rob était si fatigué après toutes ces aventures, que toute la nuit, il dormit aussi bien dans les airs que s'il eût été dans son lit. Quand il ouvrit les yeux, il filait à toute vitesse au dessus d'une immense étendue d'eau.

« C'est l'océan, bien sûr, » se dit il, « je n'ai pas encore atteint Cuba » 

Malheureusement, Rob n'était pas très calé en géographie, pour atteindre Cuba, il aurait presque du prendre le sud-ouest au lieu du sud-est en partant de Boston. Son ignorance donna un piètre résultat, car il survola l'océan toute la journée, sans l'ombre d'une île à l'horizon pour l'accueillir.

Le soleil tapait fort, il regrettait de ne pas avoir pris de parapluie. Mais il portait un chapeau de paille à large bord1, ce qui le protégeait un peu. Finalement, il s'aperçut qu'en prenant de l'altitude, il évitait la réfraction du soleil sur l'eau, de plus, il se retrouvait dans le courant d'une douce brise.

Il ne pouvait s'arrêter, car il n'y avait nul endroit où se poser, alors il continua calmement son voyage.

« Je crois bien que j'ai manqué Cuba, » se dit il, « trop tard pour changer d'itinéraire, sinon je vais me perdre. Autant que je continue, je trouverai bien une terre à un moment ou à un autre, et quand je voudrais retourner chez moi, je n'aurai qu'à régler l'instrument sur nord-ouest et il me ramènera directement à Boston. » 

C'était un bon raisonnement, mais le téméraire garçon ignorait que l'île barbare de Brava2, près des côtes africaines, se trouvait sur son trajet. Quand il l'aperçut de loin, au coucher du soleil, il fut soulagé.

Il descendit jusqu'au au centre de l'île, où il régla l'instrument sur zéro pour s'arrêter.

Avec sa végétation luxuriante et ses ruisseaux, l'endroit avait vraiment l'air accueillant. Sur tout le pourtour, le sol accusait une légère pente qui s'accentuait vers le centre, formant une colline presque aussi haute qu'une montagne. Il y avait deux espaces défrichés, un de chaque côté de l'île, Rob y aperçut de drôles de huttes faites de branches et de broussailles. Cela voulait dire qu'il y avait des habitants, mais comme il ignorait où il se trouvait, il résolut de ne pas les contacter avant de savoir à quoi ils ressemblaient, et surtout, s'ils étaient amicaux. 

Il se dirigea vers la colline, le sommet était plat et formait un plateau d'une quinzaine de mètres de diamètre. Il s'assura que l'accès en était difficile à cause de sa pente raide, qu'il ne s'y trouvait ni hommes ni animaux, alors il descendit et pour la première fois en vingt-quatre heures, il posa pied à terre.

Ce voyage dans les airs ne l'avait pas fatigué le moins du monde. Comme il s'était reposé pendant tout le trajet, il était en pleine forme. En marchant dans l'herbe épaisse, il se sentit transporté de joie, il avait l'impression d'être un explorateur des jours anciens, car de toute évidence, la civilisation n'avait pas encore atteint cet endroit paradisiaque.

Sous ces latitudes tropicales, il n'y avait presque pas de crépuscule, et la nuit tomba rapidement. En quelques minutes, l'île entière disparut dans l'obscurité, il n'en voyait plus rien, à part l'endroit où il se trouvait. Il avala sa pilule quotidienne, admira les lueurs du couchant, puis il s'allongea sur l'herbe et s'endormit.

Son sommeil fut si profond, que quand il s'éveilla, le soleil brillait juste au dessus de lui, il en conclut que la journée était déjà bien avancée. Il se leva et se frotta les yeux, il avait soif, il lui fallait de l'eau. De là où il se trouvait, il aperçut plusieurs ruisseaux qui sillonnaient à travers la forêt, il en choisit un le plus loin possible des habitations, tourna l'aiguille de son intrument dans sa direction et s'y rendit en flottant dans l'air.

Il s'agenouilla au bord du ruisseau et avala une longue goulée d'eau fraiche. Mais à peine se fut il relevé, qu'un lasso l'entoura et lui immobilisa les bras le long du corps, le réduisant à l'impuissance.

Au même moment, il entendit des vociférations en une langue inconnue, puis il se retrouva entouré par un groupe d'indigènes à l'apparence hideuse. Ils étaient presque nus, armés de lances et de gourdins, leurs cheveux étaient longs, frisés et aussi épais que des buissons, ils portaient des colliers de dents de requins et de curieux ornements de métal dans les oreilles et dans le nez.

Rob ne les avait pas entendus venir, tant ils s'étaient montrés dicrets. Mais à présent, ils se querellaient bruyamment. Puis l'un d'eux, plus gros et plus âgé que les autres et qui semblait être le chef, s'adressa enfin à lui dans un anglais torturé :

The master key frontis


« Comment venir ici ? »

« En volant. » répondit l'enfant, avec un sourire narquois. 

Le chef secoua la tête.

« Pas venir bateau. Comment homme blanc venir ? » 

« Par les airs. » répondit Rob, plutôt flatté d'être qualifié d'homme

Le chef regarda le ciel d'un air perplexe, et à nouveau, il secoua la tête.

« Homme blanc mentir. » dit il calmement. 

Il eut une longue conversation avec ses semblables, puis il se tourna vers Rob et déclara :

« Moi vu beaucoup hommes blancs, venir en grands bateaux; Hommes blancs tous mauvais, tuer avec fusils. Nous tuer hommes blancs avec bâtons et manger. Homme blanc mort bon, homme blanc vivant mauvais !3 » 

Celà déplaisait beaucoup à Rob, il n'avait pas envisagé de se faire manger par des cannibales, alors, d'un ton alarmiste, il s'écria :

« Çà va pas, les gars, vous voulez mourir ? » 

« Moi pas mourir. Toi mourir. » 

« Si vous me mangez, vous allez mourir aussi, » dit Rob, « je suis plein de poison. »  

« Poison ? C'est quoi poison ? » demanda le chef, qui avait du mal à comprendre. 

« Eh bien, du poison, c'est quelque chose qui vous rend malade, très malade, et puis vous mourez. J'en suis plein, j'en prends tous les jours au petit-déjeuner, çà ne fait rien aux hommes blancs, mais çà tue les hommes noirs encore mieux que des fusils. »

Le chef l'écouta avec attention, mais il ne comprit qu'une partie de ce qu'il disait. Après un moment de réflexion, il déclara :

« Homme blanc mentir. Toujours mentir. Moi manger beaucoup hommes blancs, jamais malade, jamais mourir. » puis il ajouta, dans un élan d'optimisme : « moi manger toi aussi ! » 

Rob n'eut pas le temps de répondre, ses ravisseurs avaient saisi le bout de la corde et le menaient à travers la forêt. Les liens étaient si serrés que l'instrument de vol s'enfonçait dans son poignet, lui causant une souffrance terrible. Mais il n'en montra rien, résolu à être courageux quoiqu'il advint, et il suivit les sauvages en silence.

Quand ils arrivèrent au village, il fut introduit dans une hutte et jeté à terre, toujours solidement ligoté.

« Nous allumer feu, » dit le chef, « puis tuer petit homme blanc et manger lui. » 

Sur cette peu réjouissante déclaration, il sortit, laissant Rob seul avec ses pensées.

« C'est horrible, » se lamenta-t-il, « je ne m'attendais pas à nourrir des cannibales. Comme j'aimerais être à la maison avec maman, papa et les filles. Comme j'aimerais n'avoir jamais connu le Démon de l'Électricité et ses inventions. J'étais heureux avant d'actionner cette affreuse Clef-Maîtresse. Et maintenant, je vais me faire manger, avec du sel et du poivre, probablement, je me demande s'ils ont des condiments. Peut être vont ils me faire bouillir, avec des biscuits, comme mère le fait avec la volaille4. Oh, comme c'est affreux ! »

Perdu dans ces sinistres pensées, il réalisa bientôt que quelque chose lui faisait mal dans le dos. Il roula de côté et vit une pierre pointue qui dépassait du sol. Cela lui donna une idée, il approcha ses mains de la pierre et se mit à frotter la corde dessus pour la couper.

Dehors, il entendait les craquements du feu de bois, il comprit qu'il n'y avait pas de temps à perdre. Il se tortilla frénétiquement pour scier ses liens, ce qui le fit transpirer par tous les pores.

La corde finit par céder, il se hâta de se libérer, se leva, se massa les membres et tâcha de retrouver son souffle. Il n'avait pas été assez rapide, car il entendit un grognement de surprise derrière lui ; un indigène se tenait à l'entrée de la hutte.

Rob se mit à rire, car il n'avait plus peur de ses semblables, maintenant. Quand le sauvage se précipita vers lui, le garçon prit son tube électrique dans sa poche, le visa et pressa le bouton. Son adversaire s'écroula sur le sol sans un bruit et resta immobile.

Un autre indigène entra, suivi du gros chef. Quand ils virent Rob libéré et leur camarade par terre qui semblait mort, le chef poussa un cri de surprise, puis il émit nombre d'expressions colorées dans sa propre langue.

« J'en ai autant à ton service, mon vieux, » dit Rob, d'un ton décontracté, « je ne serai pas mangé aujourd'hui. Vous n'avez qu'à faire une tourte avec votre ami qui est là, par terre. » 

« Non ! Nous manger toi ! » protesta furieusement le chef, « Toi couper corde, mais toi pas pouvoir te sauver, pas bateau ! » 

« Merci, je n'ai pas besoin de bateau. » dit le garçon, l'autre indigène fonça sur lui, mais Rob lui lança une décharge de son tube et il s'écroula à côté de son camarade.

Stupéfait, le chef resta un moment indécis, puis il se précipita hors de la hutte.

Rob éclata de rire en voyant le gros bonhomme se dandiner en courant, il le suivit jusqu'au centre du village, où les indigènes préparaient leur festin devant un grand feu.

Il se retrouva bientôt entouré par les villageois, qui poussaient des cris féroces et faisaient des gestes menaçants dans sa direction. Mais le chef leur cria quelque chose dans leur langue, et il s'écartèrent de lui, se contentant de brandir leurs lances et leurs gourdins.

« Le premier qui approche, » lui dit Rob,  « je l'assomme. »

« Quoi toi faire ? » demanda nerveusement le chef. 

« Vous verrez. » répondit Rob. Il s'inclina ironiquement devant l'assistance et continua : « je suis ravi d'avoir fait votre connaissance, les gars, et je suis flatté que vous m'aimiez au point de vouloir me manger, mais je suis un peu pressé, là, je n'ai guère le temps de me faire digérer. » La foule poussa un murmure de surprise, alors il ajouta : « Au revoir, tout le monde ! » puis il tourna l'aiguille du cadran sur haut.  

Il commença à s'élever dans les airs, mais à peine ses pieds eurent ils dépassé la tête des indigènes ébahis, son ascension stoppa net. Il eut un frisson de peur et regarda le cadran ; il était correctement réglé, seulement, le délicat mécanisme de l'intrument ne fonctionnait pas comme prévu. Peut être la pression de la corde l'avait endommagé alors qu'il était ligoté. À présent, il se trouvait à deux mètres du sol sans pouvoir monter plus haut.

Cependant, cette petite démonstration impressionna fort les indigènes. En le voyant suspendu dans l'air, ils s'étaient prosternés devant lui en l'adorant comme un dieu.

Cependant, le gros chef, qui avait connu beaucoup d'hommes blancs dans sa jeunesse, avait appris à s'en méfier. Alors qu'il se tenait prosterné avec les autres, il jeta un coup d'œil furtif à Rob, et il remarqua que le garçon n'avait pas l'air à son aise, il comprit qu'il était en mauvaise posture.

Il murmura quelque chose à l'homme à côté de lui, celui ci rampa doucement jusque derrière Rob, puis il se leva et piqua le dieu suspendu avec sa lance.

« Aïe ! » s'écria le garçon, « Arrêtez ! »  

Il tourna la tête et vit l'indigène qui s'apprêtait à lui donner un autre coup de lance. Alors il le visa avec son tube électrique et le fit basculer comme une quille.

Les indigènes, qui avait levé la tête en entendant son cri de douleur, la rebaissèrent aussitôt, terrorisés par les pouvoirs de ce dieu.

Rob se trouvait dans une situation pour le moins hasardeuse, il ignorait ce que les sauvages s'apprêtaient à faire. Comme il ne pouvait monter plus haut, il se dit que le mieux, c'était de s'éloigner d'eux. Il tourna l'aiguille du cadran vers le sud, où il apercevait une trouée entre les arbres. Mais au lieu d'aller dans cette direction, il se déplaça vers le nord-est, la preuve que sa machine était vraiment détraquée.

En plus, il s'approchait lentement du feu, il avait cessé de flamber, mais il restait des braises ardentes. Il eut beau tourner l'aiguille dans tous les sens, il s'arrêta juste au dessus .

« Au secours ! À moi ! Au feu ! » s'écria-t-il en sentant la chaleur des braises sous ses pieds,  « Je veux pas finir rôti ! Eh, mon gros, file moi un coup de main ! »

Le gros chef se leva et vint à son secours. Il l'attrapa par les talons, l'éloigna du feu et le tira vers le sol. Mais aussitôt, alors qu'il le tenait solidement par les chevilles, il s'éleva avec lui dans les airs. Le sauvage le lâcha en poussant un cri d'horreur et retomba la tête la première.

Entre temps, les autres indigènes s'étaient remis debouts, pendant qu'ils se rassemblaient autour de leur chef pour l'aider à se relever, Rob flottait toujours dans l'air, juste au dessus d'eux. Alors il abandonna l'idée de s'échapper avec cet instrument détraqué, et il résolut de tenter sa chance à pieds, seulement, il fallait courir. Il tourna l'aiguille du cadran sur bas, et à son grand soulagement, l'instrument obéit lentement, lui permettant de remettre pied à terre.

The master key 5 1

1 Fanny Y. Cory représente Rob coiffé d'une casquette, bien qu'elle le montre avec un chapeau de paille à partir du chapitre 10. Il y a souvent un décalage entre les descriptions de Baum et les illustrations (NdT).

2 Dans ce livre, les lieux que mentionne Baum existent vraiment, même si, parfois, il en donne une description quelque peu fantaisiste. Ainsi, l'île de Brava se trouve dans l'archipel du Cap Vert, au large des côtes de la Mauritanie et du Sénégal (NdT). 

3 Cette réplique fait peut être écho à la célèbre phrase : "un bon indien est un indien mort" attribuée au général Philip Sheridan au cours des guerres indiennes (NdT). 

4 Soit Rob est perturbé et il dit n'importe quoi, soit sa mère a de curieuses recettes de cuisine (NdT).  

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