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La Clef-Maîtresse

Introduction

<< Sommaire - Qui sait ? >> 

 Clef maitresse a

Avant de vous lancer dans la lecture de ce roman, vous pouvez d'abord, si vous le voulez, en lire le résumé.

La Clef-Maîtresse, un conte de fées électrique a été publié en 1901 par la Bowen-Merrill Company à Indianapolis.

L'édition originale était illustrée par Fanny Y. Cory, qui a aussi travaillé sur Yew, l'Île Enchantée. (disponible en français sur ce site) elle comprend 12 illustrations pleine-page en couleurs et des dessins en noir et blanc au début et à la fin de chaque chapitre.

Baum avait déclaré à propos de ce livre qu'il s'agissait un conte de fées lumineux . Il avait ajouté au sous-titre de l'édition originale : Inspiré des mystères de l'électricité et de l'optimisme de ses adeptes, ce livre a été écrit pour les jeunes garçons, mais les autres peuvent le lire aussi.

Le récit est introduit par une courte note intitulée Qui sait ? (Les impossibilités d'hier deviennent les faits établis d'aujourd'hui) et une citation de Samuel Taylor Coleridge.

J'ai eu un coup de cœur pour ce livre de Baum complètement atypique, qui n'a pas grand chose en commun avec le Magicien d'OzZixi la Reine d'Ix ou Dot et Tot au Pays Joyeux (disponibles en français sur ce site). Avec cette histoire, on n'est pas du tout dans le même registre, le ton est plus sombre, moins onirique, plus terre-à-terre que ses récits habituels, même si l'ensemble est empreint de merveilleux, l'on est surpris par une certaine brutalité, qui peut choquer quelqu'un qui en est resté au Magicien d'Oz.

Mais on retrouve quand même un peu la dimension de la fantasy habituelle chez lui, avec une touche d'inspiration des Mille et une Nuits, comme pour le Démon de l'Électricité, qui n'est pas sans rappeler le Génie d'Aladdin, ou l'épisode de l'attaque des oiseaux géants au chapitre 15. Pourtant, ce roman est plus proche de ceux de Jules Verne ; comme dans la plupart des récits de ce dernier, la Clef-Maîtresse ne se passe pas dans un monde imaginaire mais bien dans le monde réel. C'est un livre ancré dans l'actualité de son époque, y sont évoqués l'empereur d'Allemagne Guillaume II, la guerre américano-philippine, les troubles politiques du Venezuela, la célèbre actrice française Sarah Bernhardt, la deuxième guerre des Boers, le roi d'Angleterre Edward VII, le président de la république française Émile Loubetles Orléanistes et les Nihilistes Russes.

Emile loubet

Les lieux sont tout aussi réels, même si la description qu'en donne Baum est plus ou moins fantaisiste, comme Brava, l'île où Rob se fait capturer par des cannibales, elle existe vraiment, elle se situe dans l'archipel du Cap Vert. En vérité, on aurait probablement eu du mal à y trouver des cannibales en 1901, car elle était "civilisée"par les portugais depuis le XVe siècle.

Quant à Yarkand, malgré son nom qui semble tiré d'un conte merveilleux, elle existe vraiment aussi, elle se situe à l'ouest de la Chine non loin des frontières du Tadjikistan. C'est effectivement une ville-oasis comme la décrit Baum, essentiellement peuplée d'ouïghours, qui sont turcophones. Le fait que la ville soit attaquée par les Tatars (eux aussi turcophones), est peut être vraisemblable, mais mes connaissances concernant cette région du monde sont très pauvres, voire inexistantes, aussi, je ne me permettrais pas d'épiloguer plus longuement là dessus. Néanmoins, j'ai jalonné cette traduction de notes de bas de pages, avec des liens renvoyant le plus souvent à Wikipédia.

Bien sûr, comme dans beaucoup de livres de Baum et d'autres auteurs de son époque, on a du mal à échapper aux clichés et préjugés racistes (voir encadré si dessous). 

 
 
Le racisme chez Baum
 
Quand je traduis Baum, je suis parfois un peu gêné par certains propos ou certaines expressions à connotation raciste, comme dans Dot et Tot au Pays Joyeux, par exemple, et je me sens obligé de me censurer. Dans les chapitres 5 et 6 de la Clef-Maîtresse, quand Rob se retrouve sur l'île de Brava, dans l'archipel du Cap Vert, il a à faire à des indigènes à l'apparence hideuse. [...] presque nus, armés de lances et de gourdins, avec de longs cheveux frisés et aussi épais que des buissons, qui plus est cannibales. Quand il parle d'eux, Baum utilise un black méprisant que j'ai évité et remplacé par des termes comme indigène, autochtone, habitants etc.

De même, au chapitre 15, quand il parle des chinois si nombreux, avec leur civilisation si ancienne mais si rudimentaire (!!!) Un auteur actuel qui parlerait comme çà se ferait aussitôt lyncher. On peut plus ou moins excuser Baum en arguant que cette mentalité était prédominante à l'époque, cet affligeant complexe de supériorité de l'homme blanc, cette façon de considérer les peuples non-blancs comme inférieurs qui a perduré jusqu'à une bonne moitié du XXe siècle, dont on trouve des échos dans Jules Verne, la Comtesse de Ségur, et même chez les mieux intentionnés des humanistes, comme l'anarchiste française Louise Michel, déportée en Nouvelle-Calédonie entre 1873 et 1880, qui s'était intéressée aux Kanaks et, avec une bonté condescendante, exprimait le désir d'instruire ces pauvres sauvages ignorants - soit dit en passant, je ne sais pas si elle l'a vraiment dit comme çà, mais ses écrits de cette période reflètent nettement cette idée.
Curieusement, les japonais trouvent grâce aux yeux de Baum, en effet, au chapitre 15, même si Rob les appelle Japs, l'auteur qualifie ce peuple d'industrieux, et il décrit ainsi les soldats japonais : Ils n'étaient pas très grands, comparés aux habitants d'autres nations, mais ils avaient l'air alertes et bien entraînés, et il conclut de manière assez prémonitoire : [...] il faudrait sûrement beaucoup de courage pour les affronter sur un champ de bataille.
Il aura fallu encore attendre longtemps après la parution de Tintin au Congo, et encore bien plus après la lutte pour les droits civiques aux  États Unis, et l'abolition de la ségrégation dans les années 60, pour que le débat sur le racisme de Baum se fasse jour. Jusque là, on ne s'était jamais ému des propos qu'il avait allègrement tenus sur les noirs, les asiatiques ou les amérindiens, cela semblait normal, tout le monde, ou presque, raisonnait comme lui à l'époque.
Récemment, la polémique a surtout porté sur des propos qu'il a tenus dans des éditoriaux du Saturday Pioneer, une publication d'Aberdeen au Sud Dakota en 1890 et 1891. Dans le premier éditorial daté du 20 décembre 1890 consacré à Sitting Bull, Baum parlait du chef indien en termes presque élogieux. Mais le 3 janvier1891, alors que cinq jours avant avait eu lieu le massacre de Wounded Knee, le 29 décembre 1890, Baum publiait un autre éditorial où il appelait à l'extermination complète des amérindiens, qu'il qualifiait de chiens pleurnichards.
Cela fait un peu froid dans le dos, quand on apprend que celui qui a fait rêver des générations d'enfants a dit de telles horreurs. 
 

 

Rob, le héros de l'histoire, est lui aussi inspiré d'un personnage réel, il s'agit du second fils de Lyman Frank Baum, Robert Stanton Baum, qui avait quinze ans à l'époque, et qui était lui aussi fasciné par l'électricité. Le vrai Rob avait installé son atelier dans le grenier, et la maison familiale était truffée d'installations électriques, comme une sonnerie qui se déclenchait quand quelqu'un ouvrait la porte d'entrée, ou les lampes à gaz qui s'allumaient automatiquement grâce à un autre système de son invention. Baum dédia ce livre à Robert, et dans l'exemplaire qu'il lui offrit, il avait écrit : [...] son atelier m'a d'abord donné l'idée d'une histoire sur l'électricité, et l'idée du Démon Électrique s'en est suivie tout naturellement. [...]

 

 

Présenter un démon comme un personnage positif était vraisemblablement une gageure pour Baum, surtout dans la très puritaine Amérique de son époque, et qui ne l'est pas beaucoup moins de nos jours. Dans le chapitre 2, il a recours à Hésiode et à Shakespeare pour rassurer à la fois le héros et le lecteur, en expliquant que les démons ne sont pas systématiquement mauvais, ainsi que nous l'enseigne notre morale chrétienne, mais qu'il y en a aussi des bons, comme ce Démon de l'Électricité. Ces notions sont fort probablement inspirées des principes de la théosophie, très en vogue en ce temps là, depuis la fondation de la Société théosophique à New York en 1875, par Helena Petrovna Blavatsky, le Colonel Henry Steel Olcott et William Quan Judge.

 
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Certains n'hésitent pas à qualifier la Clef-Maîtresse d'œuvre de science-fiction, comme en a produit son contemporain britannique Herbert George Wells, bien que, malgré certaines similitudes, Baum se démarque nettement de lui. Contrairement à Wells, qui, dans un soucis de vraisemblance, donne une explication scientifique plus ou moins plausible à ses histoires, Baum a recours au principe du Deus Ex Machina sans aucun complexe. Dans la Clef-Maîtresse, le jeune Rob, passionné de technologie moderne, actionne accidentellement la Clef-Maîtresse de l'électricité, une clef virtuelle en quelque sorte, qu'il a manipulée involontairement en connectant des câbles au hasard, et qui a fait apparaître le Démon de l'Électricité comme la lampe d'Aladdin fait apparaître le génie.
 
 
 
Le Démon de l'Électricité et Johnny Thunder
 
Le parallèle entre le Démon de l'Électricité de Baum et Johnny Thunder, le personnage de DC Comics n'a pas échappé à certains.
 
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Créé en 1940 par John W. Wentworth et Stan Asch, Johnny Thunder est un jeune américain né le septième jour du septième mois d'une année se terminant par un sept (1917) à sept heures du matin. Pour cette raison, il est capturé par une secte qui pense l'utiliser pour dominer le monde. Il hérite d'un éclair vivant à forme humaine, rappelant beaucoup le Démon de l'Électricité, capable d'accomplir ses vœux en une heure, ce qui lui permet d'éliminer la menace de la secte et de combattre le crime. Il se peut que les auteurs se soient inspirés du roman de Baum.
 
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Ce Démon affirme détenir des secrets sur l'électricité que les hommes n'ont pas encore découverts, il écorche au passage Thomas Edison et Nikola Tesla en disant des choses plutôt désagéables sur eux, espèrons qu'ils n'aient jamais lu le livre. À propos de Tesla qui avait tenté de communiquer avec les habitants de la planète Mars, il affirme catégoriquement qu'il n'y avait pas de vie sur cette planète, à l'encontre de  l'opinion quasi générale de l'époque, où l'on croyait dur comme fer qu'il y en avait, opinion relayée par des pointures comme l'astronome italien Giovanni Schiaparelli à l'origine de la théorie des canaux martiens. La science moderne devait donner raison à Baum et à son Démon de l'Électricité, on sait maintenant avec certitude qu'il n'y a pas d'habitants sur Mars.

Le Démon offre à Rob des instruments électriques futuristes qui évoquent plus ou moins notre technologie moderne, comme ce Tube envoyant un rayon paralysant, qui présente des similitudes avec notre taser, la Chronique des Évènements fait à la fois penser à la télévision et à internet, et de là à la vidéo surveillance. Bien avant l'apparition de YouTube et des réseaux sociaux, Baum avait anticipé le risque que présentait ce genre d'invention pour la liberté individuelle et la vie privée. 
 
Il est certain que les notions scientifiques de Baum étaient limitées, on s'en rend compte quand il assimile la force de Coriolis à un phénomène électrique.
 
Les autres inventions prédites par Baum n'ont pas vu le jour, comme la Machine à Voyager que l'on porte comme un bracelet montre, sans doute à cause de cette fameuse confusion à propos de la force de Coriolis. Quant aux Pilules Nutritives Électriques, même si elles permettraient de sauver de nombreuses vies, beaucoup hésiteraient à en avaler, de toutes façons, elles n'ont pas encore été inventées.
 
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