Le Monarque Magique de Mo

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Onzième Surprise

Le Prince Trouvèron et le Géant 

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Un matin, il advint que le Monarque de Mo n'était pas dans sa bonne humeur habituelle, et bien sûr, il y avait une excellente raison à celà.

À l'arrière de son jardin, il y avait un arbre où poussaient de ces biscuits en forme d'animaux que les américains appellent Animal Crackers. Il en récoltait énormément à chaque fois, et s'il n'en était guère friand, ni sa cour, habitués qu'ils étaient à des douceurs plus sophistiquées, les plus jeunes habitants de Mo en rafollaient, et ils poussaient des cris de joie quand le Roi les partageaient entre eux.

Quelques jours auparavant, le Roi avait examiné l'arbre et avait jugé que les Animal Crackers n'étaient pas encore assez mûrs. Il était ensuite parti et les avait complètement oubliés.

Seulement, ils avaient mûri pendant son absence, ils avaient une appétissante teinte brune claire et leurs formes s'étaient arondies, et ils pendaient en grappes épaisses.

Alors que par le souffle d'une brise légère, ils se balançaient d'avant en arrière à leurs tiges, ils attendaient, attendaient longuement que quelqu'un vienne les cueillir. Mais personne ne vint, et les animaux de biscuit commencèrent à s'impatienter et à s'énerver.

« Je me demande quand on va nous ramasser. » dit un hippopotame en biscuit en baillant. 

« Ah oui, tu te le demandes ? » répliqua ironiquement un chameau en biscuit qui pendait tout près de lui, « tu crois vraiment que quelqu'un va te ramasser, avec ta peau épaisse et des tes grosses pattes ? Les enfants se casseraient les dents sur toi à la première bouchée ! »

« Quoi ! » s'écria l'hippopotame, furieux, « comment oses-tu m'insulter, espèce de baudet à bosse ? »

« Allons ! Allons !.. » les interrompit un loup en biscuit qui pendait à sa tige juste au dessus d'eux, « pourquoi nous disputer alors que nous allons bientôt être tous mangés ? »

Mais le chameau en biscuit ne voulait pas en rester là.

« Espèce de brute épaisse ! » cria-t-il à l'hippopotame avec colère.

« Bossu demeuré ! » répliqua l'autre d'un ton aigu.

Vexé, le chameau se balança brutalement sur sa branche et cogna l'hippopotame, qui se décrocha de l'arbre. En dessous, le sol était en chocolat, il était doux et encore collant car il n'avait pas encore séché depuis la dernière pluie. Ainsi, quand l'hippopotame tomba il s'enfonça à moitié dedans, et sa belle couleur brune fut tâchée de boue au chocolat.

Cet acte vengeur du chameau rendit les autres animaux furieux. Une chèvre en biscuit se balança contre le chameau et, à son tour, il se détacha de sa tige, et sa bosse se cassa en tombant au sol.

Alors un lion en biscuit cogna la chèvre qui tomba aussi, puis un éléphant fit tomber un chat, et en un rien de temps, l'arbre tout entier fut pris d'une violente commotion. Les animaux se battaient les uns contre les autres si violemment qu'il ne fallut pas longtemps pour que tous les Animal Crackers tombent tous sur le sol, beaucoup se cassèrent et se retrouvèrent défigurés, quat aux autres, ils s'étaient enfoncés dans la boue de chocolat.

Quand le Roi se souvint enfin de l'arbre, et il retourna et vit le désolant spectacle, cela émoussa ses bonnes dispositions, et il souhaitait de tout son cœur avoir cueilli ces biscuits querelleurs avant qu'ils n'aient commencé à se bagarrer.

Tandis qu'il méditait là dessus en se lamentant, arriva le Prince Trouvèron, qui venait lui demander la permission d'entreprendre un voyage.

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« Où donc voulez-vous aller ? » demanda le Roi.

« Je suis fatigué de cette belle Vallée, » répondit Trouvèron, « et comme l'arbre à bicyclettes, à côté du Lac de Cristal, est maintenant chargé de cadres et de roues bien mûrs, j'ai pensé que je pourrais en assembler une et rouler à travers la vallée voisine à la recherche d'aventure. » Voyez vous, ce Prince était le plus jeune fils du Roi, et il avait été particulièrement gâté étant petit, comme le sont souvent les derniers-nés.

« La vallée voisine, mon fils, est habitée par le géant Hartilaf, » dit le Roi, « et si vous étiez amené à le rencontrer, il pourrait vous faire du mal. »

« Oh, je n'ai pas peur d'Hartilaf » répondit Trouvèron d'un air bravache,« s'il n'est pas gentil avec moi, je peux m'échapper rapidement sur ma bicyclette. »

« Je n'en suis pas si certain, » répondit le Roi, « il y a peut être des arbres à bicyclettes comme ici, dans la vallée voisine, et puis il est dangereux et insensé de quitter cette Vallée, où l'on trouve tout ce que le cœur peut désirer. Au lieu de courir à la recherche d'aventures, vous feriez mieux de rester à la maison pour aider votre mère à récolter les boutons de col et les cravates pour la famille. »

« C'est du travail, çà, » dit malicieusement Trouvèron « et je déteste le travail. »

« Pourtant, il faut bien que quelqu'un les ramasse les boutons de col, » répondit le Roi, « ou bien nous ne pourrons plus fermer nos cols. »

« Demandez à Jollikin d'aider notre mère. Je suis affreusement las de cet endroit stupide, et je n'aurai de cesse de voyager ailleurs et voir d'autres endroits de ce monde. »

« Très bien, très bien ! Partez donc si vous voulez, » répondit le Roi d'un ton impatient, « mais faites très attention à vous, car une fois que vous aurez quitté cette Vallée, il n'y aura personne pour vous protéger en cas de danger. »

« Je peux me protéger moi-même, » s'écria le Prince, « ne vous inquiétez donc pas pour moi. » puis il partit en courant avant que son père ne change d'avis et ne lui retire son autorisation.

Il se choisit la plus belle et la plus mûre des bicyclettes sur l'arbre, et après l'avoir assemblée, il fila tout droit sur le chemin menant aux montagnes.

En arrivant à la limite est de Mo, il passa près d'un buisson où poussaient des violons, ce qui attira l'attention de Trouvèron, qui était un excellent violoniste capable de jouer correctement un grand nombres d'airs. Il descendit de sa bicyclette et se choisit dans le buisson un petit violon qui rendait un son agréable. Il le prit sous son bras, se disant que, quand il se sentirait seul, il pourrait en jouer pour se distraire.

Peu après avoir repris sa route, il arriva aux Plaines d'Érable, une portion de pays entièrement composée de sucre d'érable. Les plaines étaient bien lisses, c'était très agréable de rouler dessus, il avançait si vite qu'il traversa les plaines en un rien de temps et arriva au bord d'une rivière de pur sirop d'érable, si large et si profonde qu'il ne pouvait ni sauter au dessus ni la traverser à la nage.

Le Prince descendit de sa bicyclette et se mit à réfléchir à un moyen d'atteindre l'autre rive. Il n'y avait aucun pont en vue nulle part, et la berge était dénudée, à l'exception de buissons où poussaient des bonbons et des caramels de sucre d'érable.

Mais le Prince Trouvèron n'avait pas l'intention de rebrousser chemin à cause d'une simple histoire de rivière. Il creuse alors un trou dans le sable de sucre d'érable, il le remplit de sirop puisé dans la rivière, craqua une allumette et le fit brûler. Au bout d'un moment, le sirop d'érable devint filandreux, et le Prince tira rapidement un fil qui se figea instantanément, il l'étendit alors au dessus de la rivière et, sur ce simple pont, il traversa les flots en bicyclette.

Une fois sur l'autre rive, il se remit en route, il atteignit une montagne qu'il grimpa en pédalant, et quand il l'eut franchie, il arriva dans la vallée voisine. Il s'arrêta un moment et regarda autour de lui.

Il ne voyait aucune route d'aucune sorte nulle part, mais au loin, en bas de la vallée, il y avait une maison de taille monstrueuse, si grande qu'on aurait pu y mettre un petit village avec son église.

« Çà doit être là que vit le géant, » se dit Trouvèron, et bien qu'il n'y eut personne alentour, il décida de rendre visite à M. Hartilaf pour se présenter. Lentement, il descendit la vallée en roulant et en jouant du violon, afin d'annoncer son arrivée en musique.

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Le géant Hartilaf se reposait sur le sofa de la salle de séjour, attendant que sa femme finisse de préparer le dîner. Il s'était presque assoupi quand le son du violon de Trouvèron parvint à ses oreilles. C'était tellement inhabituel dans sa vallée que le géant se leva et alla à la porte pour voir d'où venait cette musique.

Entre temps, le Prince avait presque atteint la maison, et quand le géant apparut, il fut quelque peu stupéfait, il ne s'était pas attendu à voir quelqu'un d'aussi grand. Mais en prenant garde de ne pas montrer sa peur, il ôta son chapeau et en s'inclinant respectueusement, il dit :

« Monsieur Hartilaf, je suppose ? »

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« C'est bien mon nom, » répondit le géant, avec un petit sourire amusé devant la taille de son visiteur, « et vous, puis je savoir qui vous êtes ? »

« Je suis le Prince Trouvèron, je vis dans la vallée voisine que l'on appelle la Vallée de Mo. Je suis parti pour explorer le monde, je voyage pour le plaisir, je passais par là et j'ai tenu à vous rendre une visite amicale. »

« Vous êtes tout à fait le bienvenu, » répondit le géant, « si vous voulez bien entrer dans mon humble demeure, je me ferai un plaisir de vous inviter à dîner. » 

Le Prince Trouvèron s'inclina bien bas en acceptant l'invitation, mais quand il entreprit d'entrer dans la maison, il se trouva confronté à des marches si hautes qu'elles dépassaient sa tête, et il ne pouvait pas escalader ainsi tout un escalier.
Voyant qu'il était en difficulté, le géant le prit délicatement entre le pouce et l'index et le posa dans la paume de son autre main.

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« N'oubliez pas ma bicyclette, » dit le Prince, « sans elle, je ne pourrais pas retourner chez moi en cas de problème »

Le géant mit la bicyclette dans la poche de sa veste, puis il entra dans la maison et se rendit dans la cuisine, où sa femme était en train de préparer le dîner.

« Devine ce que j'ai trouvé. » dit le géant à sa femme, en cachant le Prince de son autre main pour qu'elle ne le voit pas.

« Comment veux tu que je le sache ? » répondit la femme.

« Essaie de deviner ! » la pria le géant.

« Va t'en, et arrête de m'embêter, » répondit elle en se penchant au dessus de ses fourneaux, « ou tu n'auras rien pour dîner ce soir. »

Cependant, le géant était d'humeur facétieuse, il ouvrit soudainement la main et déposa le Prince dans le cou de sa femme.

« Aaaaah ! » cria-t-elle, en tâtant l'endroit où le Prince s'était retrouvé, à la base de sa nuque, « qu'est ce que c'est ? Encore un de ces horribles crocodiles ou dragons, ou autre bestioles mord ! » Terrorisée, la pauvre femme se contorsionnait et battait le sol de ses pieds.

Le géant hurlait de rire, mais le Prince, étant parvenu à se déplacer, surgit du cou de la dame, et, debout à côté de sa tête, fit une révérence et dit :

« Ne craignez rien, Madame, ce n'est que moi. Il faut dire aussi que votre mari a manqué de galanterie en vous jouant ce tour, sans parler ce que j'en ai moi-même ressenti. »

« Tant mieux ! » s'exclama-t-elle, retrouvant son équilibre et fixant Trouvèron avec curiosité. « Mais dites moi ; qui êtes vous, et d'où venez vous ? »

Le géant, content de la bonne partie de rigolade qu'il venait d'avoir, présenta le Prince à son épouse, et comme le dîner était prêt à servir, ils s'assirent à table tous ensemble.

Trouvèron passa un agréable dîner, car le géant avait eu la bonne idée de le placer au bout de la table, où il pouvait se déplacer à son gré. Comme il n'y avait ni couteaux ni fourchettes à sa taille, le Prince prit un cure-dents, qui était aussi grand qu'une épée, et il s'en servit pour goûter à tous les plats.

Quand le repas fut terminé, le géant alluma sa pipe, dont le fourneau était aussi grand qu'un tonneau, et il demanda à Trouvèron s'il voulait bien leur jouer un morceau de musique.

« Certainement. » répondit le Prince.

« Pourriez vous venir dans la cuisine ? » lui demanda la géante, « comme çà, je pourrai vous écouter jouer en faisant la vaisselle. »

Le Prince ne se fit pas prier pour accepter, bien que chez lui, il n'avait pas le droit d'entrer dans la cuisine de sa mère, alors la géante le prit et le plaça sur une haute étagère, où Trouvèron s'assit sur une bobine de fil et commença à jour du violon.

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Au début, les géants apprécièrent beaucoup la musique, car le Prince était un excellent interprète, mais il survint une désagréable interruption.

À peu près un mois auparavant, le géant avait attrapé plusieurs ours dansants* dans les montagnes, il les avait ramenés chez lui et en avaient fait un chapelet de saucisses. Elles pendaient en une grâcieuse guirlande aux poutres du plafond de la cuisine, attendant le moment d'être mangées.

Quand les saucisses d'ours dansants entendirent Trouvèron jouer du violon, elles ne purent résister à l'envie de danser ; tout le monde sait que les saucisses fabriquées à partir d'authentiques ours dansants ne peuvent se tenir tranquilles quand il y a de la musique. Le Prince interprétait un air si entrainant que le chapelet de saucisses tomba du plafond et elle se mirent à danser furieusement une fois sur le sol.

Mais comme elles ne voyaient pas où elles allaient, elles se cognaient contre le géant et sa femme, les frappant à la tête et sur le dos, leurs coups étaient si vilents que la femme eut peur et se cacha sous la table, tandis que le géant se sauva.
Voyant cela, Trouvèron cessa de jouer, et aussitôt les saucisses retombèrent inertes sur le sol.

« Comme c'est étrange, » dit le géant, dès qu'il parvint à reprendre son souffle, « de toute évidence, les ours savent toujours danser, même après avoir été réduits en chair à saucisses. Je dois vous demander d'interrompre votre concert pour le moment, mais à votre prochaine visite, nous aurons mangé les saucisses et vous pourrez jouer autant qu'il vous plaira. »

« Si j'avais su qu'ils étaient si vigoureux, » dit la géante, en sortant de dessous la table, « nous les aurions mangés avant que tout cela n'arrive. »

« Çà me rappelle que je voulais du ragoût d'ours polaire pour le souper, » continua le géant, « je crois bien que je vais aller faire un tour en Alaska pour en attraper quelques uns. »

« Peut être que le Prince préfère de la tarte à l'éléphant ? » suggéra la dame, « dans ce cas, tu peux faire un saut en Amérique du Sud pour attraper quelques éléphants. »

« Je n'ai pas vraiment de préférence, » dit le Prince, je n'ai jamais goûté ni à l'un ni à l'autre. Mais c'est un voyage plutôt long d'aller en Alaska ou en Amérique du Sud, non ? »

« Pas du tout ! » protesta le géant, « pour moi, ce sera une promenade de détente, et je reviendrai largement au coucher du soleil. Vous ne voudriez pas venir avec moi ? » proposa-t-il au garçon. Mais un voyage aussi long ne tentait guère Trouvèron, qui déclina poliment. 

La géante apporta à son maître un gras sac pour y mettre les ours polaires, et il s'apprêta à partir.

« Je vous charge de distraire ma femme pendant mon absence, » dit il au Prince, « vous êtes ici chez vous, vous pouvez disposer de mon château comme si c'était le votre, et si j'ai de la chance, vous dégusterez un succulent ragoût d'ours polaire au dîner. »

Puis il jeta le sac sur son dos et partit en sifflotant joyeusement. Ses pas étaient tellement grands qu'en moins d'une minute il était hors de vue.

« C'est mon jour de grand ménage, » dit la géante à Trouvèron, « et j'ai peur d'être une piètre hôtesse en vous négligeant, car il me faut aller à la buanderie pour faire la lessive. Cependant, si vous voulez bien m'y accompagner, nous pourrons faire la conversation pendant que je travaille. »

« Cela me ferait grand plaisir de visiter votre buanderie, » répondit il, « car je ne suis jamais allé dans un tel endroit. De plus, il sera certainement plus agréable de vous voir travailler que de passer la journée tout seul dans ces pièces immenses. »

« Alors, allons y. » dit elle, puis elle le ramassa et le mit dans la poche de son tablier, car elle savait bien qu'il ne pourrait jamais descendre l'escalier de la buanderie.

Il se sentait tout à fait à l'aise dans cette poche, qui était juste assez profonde pour avoir la tête et les épaules qui en dépassaient. Ainsi, il pouvait voir tout ce qui se passait quand la dame travaillait. Il la regarda laver et rincer le linge, ce spectacle l'intéressait vivement, car tout cela était nouveau pour lui.

À la fin, la géante prit une immense essoreuse à rouleaux sur une étagère, et après l'avoir fixée à la bassine, elle commença à essorer le linge.

Essoreuse a rouleaux 4

Le Prince Trouvèron n'avait jamais vu d'essoreuse à rouleaux auparavant, et cette nouveauté le fascinait tant qu'il se pencha hors de la poche pour la regarder fonctionner.

Mais malheureusement, il perdit l'équilibre, et avant qu'il ne réalise ce qui lui arrivait, il était tombé de la poche et se débattait dans une des chemises du géant qui était en train de passer dans l'essoreuse.

La femme n'avait rien remarqué, et l'instant d'après, il était pressé entre les deux gros cylindres et ressortit de l'autre côté aussi plat et aussi fin qu'une feuille de papier.

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La géante, voyant soudain ce qu'elle avait fait, réalisa la gravité des conséquences pour le Prince, la bonne dame fut très chagrinée de cet accident. Elle prit Trouvèron et essaya de le faire tenir debout, mais il était si fin qu'au moindre mouvement le faisait flotter comme un drapeau, et au premier coup de vent, il pouvait être emporté.

« Miséricorde ! » se lamenta la femme « qu'allons nous faire pour vous rendre votre forme ? »

« Je n'en ai aucune idée, » dit le Prince, « je ne peux pas faire grand chose de bon dans cet état, je ne peux même pas traverser la pièce sans tomber. Arriveriez vous à me tasser pour me rendre ma forme ? » La géante essaya, mais le Prince était si fin que ses bords étaient coupants et lui blessèrent les mains. Tout ce qu'elle put faire, ce fut de le plier et l'emmener au salon, où elle le disposa délicatement au centre d'une table.

Juste avant le coucher du soleil, le géant fut de retour d'Alaska, ramenant plusieurs ours polaires dans son grand sac, et à peine eut il mis le pied dans sa maison qu'il s'enquit de son hôte, le Prince.

« Tu le trouveras sur la table du salon, » dit la géante, « je l'ai fait passer par mégarde dans l'essoreuse à rouleaux cet après-midi, et le pauvre garçon est aussi plat qu'une pâte à tarte. Alors je l'ai plié et l'ai mis à l'abri jusqu'à ton retour.  »
Le géant alla tout de suite à la table pour déplier Trouvèron et lui demander comment il se sentait.

« Vraiment pas bien, » répondit le Prince, « je ne peux pas bouger du tout quand je suis plié. Où est ma bicyclette ? »

Le géant chercha dans ses poches mais ne la trouva pas.

« J'ai du la perdre sur le trajet en Alaska. »  dit il.

« Alors, comment vais je faire pour retourner chez moi ? » demanda le Prince.

« Çà, c'est un sacré problème, » répondit le géant en réfléchissant, « de toute façon, même si vous aviez la bicyclette, vous ne pourriez pas l'utiliser, et à pieds, dans votre condition actuelle, vous ne pouvez pas aller loin. »

« Surtout s'il y a du vent. » confirma le Prince.

« Vous pourriez peut être vous déplacer de côté. » suggéra le géant, après un moment de réflexion.

« Je vais essayer. » répondit Trouvèron avec un vague espoir.

Le géant le mit debout et il essaya de se déplacer de côté. Mais au moindre souffle d'air, il tombait, et il se fripa plusieurs fois, et le géant devait le lisser avec ses mains.

« Non, cela ne va pas, » conclut le géant,  « car non seulement vous allez vous chiffonner, mais en plus vous risquez de vous envoler. J'ai pensé à un moyen de vous renvoyer dans la Vallée de Mo, et une fois que vous serez dans votre pays, vos amis feront de leur mieux pour vous tirer de ce mauvais pas. »

Hartilaf enroula soigneusement le Prince et mit un élastique autour pour le faire tenir. Puis il chargea le rouleau sous son bras et le porta au sommet de la montagne qui séparait les deux vallées. Il le posa là avec précautions et lui donna une légère poussée, ainsi, le Prince rejoignit rapidement la Vallée de Mo en dévalant la pente.

Sur le moment, les gens eurent une grande frayeur, ils se demandaient quelle était cette chose qui était arrivée au milieu d'eux en roulant. Rassemblés autour, ils la regardaient avec curiosité mais avaient peur d'y toucher. Soudain, Trouvèron poussa un cri si terrifiant qu'ils se sauvèrent tous à toutes jambes.

Le Prince Jugeotte, qui était plus courageux que les autres, s'avisa enfin d'approcher du rouleau et coupa l'élastique qui le maintenait. Aussitôt, il se déroula et, à leur grande surprise, les gens virent ce que c'était.

« Ma parole, mais c'est mon frère Trouvèron ! » s'écria le Prince Jugeotte, « c'est sans doute le géant qui l'a piétiné. »
« Pas du tout, » dit le pauvre Trouvèron, « je suis passé à travers une essoreuse à rouleaux, ce qui est bien pire que de se faire piétiner. »

Avec beaucoup d'expressions de compassion, le bon peuple aida le Prince à se mttre debout et l'accompagna au palais. Le Roi fut extrêmement choqué de le voir dans cet état. Trouvèron avait une telle superficie que la seule chose sur laquelle il pouvait s'asseoir, c'était le sofa, et il était telleent fin que quand la Princesse Tartelette éternua, il se retrouva projeté à l'autre bout de la pièce.

Au dîner, il ne pouvait rien manger de plus épais qu'une lamelle, la situation était si préoccupante que le Roi se résolut à consulter l'Âne Savant pour trouver un moyen de sortir son malheureux fils d'affaire.

Après avoir écouté le récit détaillé de l'accident, l'Âne Savant dit : « Gonflez le. »

« Le gonfler ? » s'exclama le Roi, « vous plaisantez ? »

« Pas du tout, » expliqua l'Âne, « il vous suffit de percer un trou au somet de son crâne et de le gonfler jusqu'à ce qu'il retrouve sa forme originale. Après, s'il est prudent, il  peut se rétablir complètement. »

Alors le Roi revint au palais et perça un trou dans la tête de Trouvèron et il le gonfla avec une pompe à vélo. Une fois qu'il eut retrouvé sa forme, on colmata le trou avec un bouchon. Après, Trouvèron pouvait se déplacer avec autant d'aisance qu'avant.

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Le seul danger, pour lui désormais, c'était une crevaison, d'ailleurs, ses amis le trouvèrent un jour complètement à plat dans le jardin, le Prince s'était écorché le doigt à un buisson de roses et tout son air s'était échappé. Ils le regonflèrent et désormais, il fit plus attention à lui.

Trouvèron avait tellement horreur d'être à plat, que si son père voulait le faire obéir, il le menaçait de le piquer avec une aiguille, ce qui avait toujours l'effet désiré.

Heureusement, comme le Prince était un gros mangeur, il finit par se remplir de chair consistante au bout de quelques années, et il n'eut plus besoin d'être regonflé. Mais cette expérience l'avait tellement traumatisé qu'il ne rendit plus jamais visite au géant Hartilaf, il avait trop peur d'un autre accident.

 

*Rappelons que la tradition des ours dansants est une pratique barbare, pardonnons à Baum qui avait une âme d'enfant et ne voyait pas le mal. 

 

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