Yew, l'Île Enchantée - 3

Le Repaire des Fées

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La région de l'Île Enchantée qu'embrassait le soleil levant s'appelait Dawna, le royaume teinté de rose et de pourpre par le soleil couchant était connu sous le nom d'Auriel, au sud, là où abondaient les fruits et les fleurs se trouvait le royaume de Plenta. En haut, au nord, s'étendait Heg, le domaine des grands barons qui ne craignaient pas les hommes de Spor, c'est précisément là que commence notre histoire.

Yewplan

Le château du Baron Médéric dominait une magnifique vallée, il était renommé aussi bien en temps de guerre qu'en temps de paix, et arrivait en second en puissance, après le Roi de Heg. C'était un vaste château, avec des murs épais et protégé par de robustes grilles. Devant, il y avait une étendue de terres avec la mer scintillant au loin, et derrière, se trouvait la lisière toute proche de la Forêt de Lurla.

Par un beau jour d'été, le gardien de la grille du château ouvrit un portillon, puis il abaissa un pont-levis pour laisser sortir trois jeunes filles avec des paniers aux bras.

L'une d'elles marchait devant les autres, comme se le devait la fille aînée du Baron. Elle s'appelait Seseley, elle avait les cheveux blonds, les joues rouges et de grands yeux bleus.

 Derrière elle, joyeuses et pimpantes, avec cependant une certaine déférence pour le rang élevé de la jeune lady, suivaient Berna et Helda, deux brunettes aux yeux malicieux et aux membres souples et graciles. Berna était la fille du maître archer, et Helda la nièce du capitaine des gardes, c'était à elles que l'on avait donné le rôle de camarades de jeu de la très gracieuse Seseley.

Elles coururent toutes trois vers le sommet de la colline et, sans aucune hésitation, avec de joyeuses et insouciantes galipettes, elles plongèrent dans la pénombre des arbres anciens. La lumière du soleil n'y pénétrait pas, mais l'air frais était parfumé de noisette et de mousse.

Tout le monde savait que la Forêt de Lurla était la demeure des fées, mais Seseley et ses camarades n'avaient pas peur de ces bonnes créatures, au contraire, elles souhaitaient en rencontrer, car on leur avait appris à les aimer comme des gardiens de l'humanité. On disait qu'il y avait aussi des nymphes, ainsi que des farfadets, cependant, depuis des années, personne n'avait pu se vanter d'en avoir vu.

Ainsi, en ramassant ici et là des fleurs et des des noisettes, les trois jeunes filles s'enfoncèrent de plus en plus dans la forêt. Elles parvinrent bientôt à une clairière en forme de cercle, avec un tapis de mousse et de fougères et un toit de ramures.

« Comme c'est joli ! » s'écria Seseley, « nous n'avons qu'à prendre notre repas ici ! »

Berna et Helda étendirent une nappe et sortirent de la vaisselle en or et de la nourriture de leurs paniers.

Le repas se déroula sans aucune cérémonie, soyez en assuré, et en aussi peu de temps qu'il faut pour le dire, les enfants avaient assouvi leur appétit et riaient en bavardant gaiement, comme si elles avaient été chez elles, dans le château. Mais elles étaient sûrement plus heureuses dans cette clairière qu'entre ses sinistres murs de pierre, elles étaient d'humeur si joyeuse que si l'une riait les autres se mettaient à rire avec elle.

Soudain, elles restèrent figées en entendant un éclat de rire faire écho aux leurs, elle se retournèrent pour voir d'où il provenait, alors elles virent, assise tout près d'elles, une créature si belle que leurs trois paires d'yeux s'écarquillèrent et que leurs trois cœurs se mirent à battre plus fort.

« Avez vous fini de me fixer comme çà ? » demanda la nouvelle venue, vêtue d'une robe rose brodée de perles qui flottait autour d'elle, et dont les yeux scintillaient comme deux étoiles.

« Pardonnez notre impertinence, » répondit la petite Lady Seseley, qui tâchait de retrouver son flegme et sa dignité, « mais reconnaissez que vous vous êtes introduite parmi nous sans être invitée et... et vous avez un air plutôt bizarre. »

À nouveau, le rire cristallin résonna dans la clairière.

« Sans être invitée ! » répéta la créature en claquant des mains avec délectation, « sans être invitée dans ma propre forêt ! En fait, mes filles, c'est vous qui n'avez pas été invitées, vous êtes très impolies de venir faire tout ce tapage dans notre repaire de fées. »

Les enfants n'écarquillèrent pas plus les yeux en entendant ces paroles, car elles ne le pouvaient pas, mais leurs visages exprimèrent pleinement leur surprise, tandis que Helda bafouillait :

« Un repaire de fées ? Nous sommes dans un repaire de fées ? »

« Très certainement, » répondit la créature, « il est vrai que j'ai l'air bizarre, vous attendiez vous à ce qu'une fée ressemble à une jeune fille mortelle ?  »

« Une fée ! » s'exclama Seseley, « êtes vous une véritable fée ? »

« À mon grand regret, j'en suis une. » répondit elle gravement, en tapotant un carré de mousse du bout argenté de sa baguette.

Il y eut un moment de silence, tandis que les trois jeunes filles restaient assises en regardant l'immortelle avec une grande curiosité.

Finalement, Seseley demanda :

« Pourquoi regrettez vous d'être une fée ? J'ai toujours pensé que vous étiez les créatures les plus heureuses du monde. »

« Sans doute devrions nous l'être, » répondit la fée d'un ton mélancolique, « car nous avons de merveilleux pouvoirs et faisons beaucoup pour vous aider, pauvres mortels. Je suppose que certaines d'entre nous sont heureuses, mais pour ma part, je suis tellement lasse de la vie de fée que je ferais n'importe quoi pour en changer. »

« C'est étrange, » remarqua Berna, « vous avez plutôt l'air jeune pour être ainsi blasée de l'existence. »

À nouveau, la fée éclata de rire et demanda :

« Quel âge me donnez vous ? »

« À peu près le nôtre. » dit Berna, après un rapide coup d'œil sur elle et un instant de réflexion.

« Ignorantes ! » répliqua sèchement la fée, « ces arbres ont plusieurs centaines d'années, cependant, je me rappelle de l'époque où ils n'étaient que des brindilles. Je me rappelle aussi des premiers mortels qui sont venus vivre sur cette île, je me rappelle aussi du jour où naquit cette île, en surgissant de la mer après un tremblement de terre. J'ai beaucoup, beaucoup de siècles de souvenirs, mes chéries, j'en ai assez de me souvenir, j'en ai assez d'être et d'avoir toujours été une fée, sans jamais le moindre changement pour éclairer ma vie. »

« Çà alors ! » dit Seseley en compatissant, « je n'ai jamais imaginé la vie d'une fée de cette façon là, en fait, çà doit être lassant, à force. »

« Et pensez à tous ces siècles que je dois encore vivre ! » s'écria la fée, avec un accent de désespoir dans la voix, « n'est ce pas une perspective décourageante ? »

« En effet. » acquiesça Seseley.

« Comme j'aimerais échanger ma vie contre la votre. » dit Helda, qui regardait la fée avec admiration.

« Mais vous ne pouvez pas, » s'empressa de répondre la petite créature, « les mortels ne peuvent pas devenir fées, bien qu'il y a eu, autrefois, un mortel qui est devenu immortel, mais je n'en suis pas sûre. »

« Mais les fées peuvent devenir tout ce qu'elles désirent ! » s'écria Berna.

« Non, elles ne peuvent pas. Vous faites une lourde erreur en croyant cela. » répondit elle, « je pourrais vous changer en mouche, en crocodile ou en goglu1 si je le voulais, mais les fées ne peuvent se changer elles-mêmes en quoi que ce soit. »

« Comme c'est étrange ! » murmura Seseley, impressionnée.

« Mais vous , vous pouvez, » s'écria la fée en sautant sur ses pieds et en bondissant vers elles, « vous êtes mortelles, et selon la loi qui nous gouverne, un mortel peut changer une fée en ce qui lui plaît. »

« Oh ! » fit Seseley, séduite par cette idée.

Alors la fée tomba à genoux devant la fille du baron en l'implorant :

« De grâce... de grâce, chère Seseley, rendez moi mortelle ! »

1Le Goglu, ou Goglu commun (Dolichonyx oryzivorus) est une espèce de passereau chanteur de la famille des ictéridés, voir la page wikipédia sur le goglu des prés qui m'a l'air assez claire.

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