Yew, l'Île Enchantée - 5

Le Roi des Voleurs

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Le vieux Marshelm, le capitaine des gardes, fut très surpris en voyant la fille du baron et ses compagnes escortées par un chevalier en armure étincelante.

Certes, il était plutôt petit pour un chevalier, mais la monture qu'il tenait en bride était était si élégante que le vieux Marshelm, qui s'y connaissait en chevaux, en conclut qu'il s'agissait d'un personnage important.

Alors qu'ils approchaient, le capitaine des gardes remarqua la beauté de l'armure du petit chevalier, son œil accrocha aussi l'éclat des joyaux sertis dans le manche de son épée, alors il appela ses hommes, puis il s'apprêta à le recevoir avec tous les honneurs dûs à son rang.

Mais le capitaine fut extrêmement déçu, car l'étranger n'avait pas l'air de vouloir entrer dans le château, au contraire, il embrassa respectueusement la main de la petite Lady Seseley, fit un signe de la main aux autres, puis il monta sur son destrier et partit au galop à travers les plaines.

Le pont-levis fut baissé pour permettre aux trois enfants d'entrer, et le grand Baron Médéric vint en personne interroger sa fille.

« Qui est ce petit chevalier ? » demanda-t-il.

« Son nom est Prince Merveille. » répondit Seseley, non sans aplomb. 

« Prince Merveille ? » s'étonna le Baron, « je n'ai jamais entendu parler de lui. Viendrait il du Royaume de Dawna, ou de celui d'Auriel ou de Plenta ? »

« Je ne le sais pas. » dit Seseley sans mentir.

« Où l'avez vous rencontré ? » continua le baron.

« Dans la forêt, mon père, et il nous a gentiment escortées jusque chez nous. » 

« Mmmh ! » fit le baron d'un air soupçonneux, « a-t-il dit quelle sorte d'aventure l'avait amené ici, dans notre Royaume de Heg ? »

« Non père, mais il a dit, justement, qu'il était à la recherche d'aventures. » 

« Bah, il en trouvera assez pour l'occuper dans cette île de barbares, où les hommes préfèrent manier l'épée que manger. » répondit le vieux guerrier avec un sourire, « quel âge peut donc avoir ce Prince Merveille ? »

« Il n'a pas l'air d'avoir plus de quinze ans, » dit Seseley, que la question mettait mal à l'aise, car elle n'avait pas envie de dire quelque chose de faux, « mais il est peut être plus vieux. » ajouta-t-elle, en sentant monter la confusion.

« Bien, je regrette qu'il ne m'ait pas rendu visite dans mon château. » dit le baron, « il est plutôt petit pour voyager à travers cette région dangereuse tout seul, et j'aurais pu le conseiller pour sa sécurité. »

Seseley se disait que le Prince Merveille n'avait besoin de conseils de personne concernant sa conduite, mais elle résolut sagement de ne pas exprimer sa pensée, tandis que le Baron observait le chevalier s'éloigner à travers une meurtrière.

Le Prince Merveille se dirigea vers le sommet la colline, son grand cheval de guerre escalada la pente et disparut derrière un monticule.

À l'idée de l'année de liberté et d'aventures qui l'attendait, le jeune homme chevauchait avec le cœur léger.

La vallée dans laquelle il se retrouva était très belle, l'herbe épaisse sous les sabots de son cheval était parsemée de fleurs multicolores, tandis que des bosquets poussaient çà et là, brisant la monotonie du paysage.

Pendant une heure il avança, laissant son cheval aller à son gré en respirant l'air chargé de parfums. Puis il s'aperçut qu'il avait traversé la vallée et s'approchait des collines.

Il y avait d'immenses morceaux de roches brisées, le sol était couvert de blocs de pierre rugueuse. Son cheval trouva rapidement un passage à travers cette caillasse, mais il fut contraint d'aller au pas, prenant d'abord une direction, puis une autre et encore une autre, il parvint au sommet en zigzagant.

Perdu dans ses pensées et prêtant peu d'attention au trajet, le Prince Merveille se retrouva entre deux hautes murailles de pierre, si rapprochées l'une de l'autre que le cheval et son cavalier avaient du mal à passer entre les parois.

Il avança un moment dans cet espace étroit qui s'ouvrit sur une terrain plat, où poussaient l'herbe et les arbres. L'endroit n'était pas très grand, mais il ne pouvait s'agir que du bout du chemin, car il était entouré d'une muraille de roches si haute et à la pente si raide que ni un cheval ni un homme n'eût pu l'escalader.

En face de l'entrée du chemin, le voyageur remarqua un creux, comme une caverne, au travers de laquelle était placée une grille en fer. Au dessus, à la peinture rouge sur la pierre grise, il était écrit :

WUL-TAKIM
ROI DES VOLEURS
------
ICI, C'EST LA SALLE DE SON TRÉSOR
DÉCAMPEZ !

Prince Merveille se mit à rire en lisant ceci, après être descendu de selle, il s'avança vers la grille de fer et jeta un regard de l'autre côté des larges barreaux.

« Je me demande qui est ce Wul-Takim, » dit il, « je ne sais rien des mœurs des hommes vivants en dehors de la forêt où j'ai toujours vécu. Mais les voleurs sont mauvais, j'en suis sûr, et comme ce Wul-Takim est le roi des voleurs, il doit sûrement être le pire de toute l'île. »

Derrière les barreaux de la grille, il aperçut une grande caverne où étaient entreposés des trésors de toutes sortes ; des vêtements précieux, de la vaisselle, des ornements en or, des diadèmes, des bracelets sertis de diamants, des armures, des boucliers et des haches de guerre artistement ouvragés. Il y avait aussi des paquets et des caisses contenant toutes sortes de marchandises.

Constatant que la grille n'avait pas de serrure, le Prince Merveille l'ouvrit et entra. Alors il aperçut un garçon perché tout en haut d'une pyramide de caisses, assis tranquillement en le regardant avec perplexité.

« Qu'est ce que vous faites là haut ? » demanda le Prince.

« Rien, » répondit le garçon, « si je fais le moindre mouvement, la pile de caisses va s'effondrer et je vais tomber. »

« Et alors, » répliqua le Prince, « ce n'est pas si terrible. »

Mais un rapide coup d'œil vers le bas lui fit comprendre pourquoi le garçon était si prudent ; une multitude d'épées étaient plantées dans le sol, leurs pointes acérées tournées vers le haut, tomber dessus signifiait de graves blessures, et peut être la mort.

« Ah ! » s'exclama Merveille, « je comprends, vous êtes prisonnier. »

« Oui, et vous n'allez pas tarder à l'être aussi, » répondit le garçon, « vous comprendrez alors autre chose, c'est que vous avez été vraiment imprudent de pénétrer dans cette cave. »

« Pourquoi ? » demanda le prince, qui ne connaissait pratiquement rien du monde, et qui était très intéressé par tout ce qu'il voyait et entendait.

« Parce que c'est la forteresse du Roi des Voleurs, et qu'en ouvrant cette grille, vous avez déclenché un système qui a fait sonner une cloche plus loin sur la colline, les voleurs sont donc prévenus qu'un ennemi est dans leur caverne, ils vont bientôt arriver et vous faire prisonnier comme moi. »

« Ah, d'accord ! » dit le Prince en riant, « quel astucieux stratagème, mais comme j'ai été prévenu à temps, je serai fou de me laisser prendre dans ce piège. »

En disant cela, il avait sorti à moitié son épée, mais il se dit que ces voleurs n'étaient pas dignes d'être tués par ce pur métal immaculé, il la remit en place dans son fourreau et chercha une autre arme autour de lui.

Il y avait un gros gourdin en chêne qui trainait par terre, il le ramassa, sortit de la caverne, puis il alla se placer juste à côté de l'ouverture donnant sur la clairière enchâssée dans la roche. Il avait compris que c'était le seul accès pour atteindre ou quitter l'endroit, il savait donc que les voleurs arriveraient par la gorge étroite qu'il avait lui-même empruntée.

Il entendit bientôt leurs pas rapides, ils se criaient les uns aux autres de se dépêcher pour attraper l'intrus. Le premier qui surgit de l'ouverture reçu un grand coup du gourdin du Prince Merveille sur la tête, il tomba inanimé sur le sol, puis le suivant fut traité de la même manière et tomba à côté de son camarade.

Ils ne s'attendaient sans doute pas à un adversaire aussi énergique, aussi continuèrent ils à surgir de l'ouverture dans le rocher et tomber sous le gourdin du Prince jusqu'à ce qu'ils gisent tous à ses pieds.

Au début, ils s'empilaient régulièrement les uns sur les autres, mais bientôt la pile fut tellement haute que le prince fut obligé d'aider les derniers voleurs à y grimper avant de s'évanouir.

Je ne doute pas que notre prince, qui se sentait déjà drôle dans cette nouvelle forme, et récemment éloigné des clairières de la forêt où il avait toujours vécu, fut aussi stupéfait de cet acte de bravoure que les voleurs eux-mêmes. S'il ne put s'empêcher de frémir en voyant ce tas de brigands sans connaissance, il faut lui pardonner cette faiblesse, car il avait résolu de s'endurcir le cœur face à ce genre de situation, et de se montrer tout aussi dur et impitoyable que n'importe quel chevalier mortel l'eût été à sa place.

Il jeta son gourdin et retourna dans la caverne. En marchant entre les pointes des épées, il s'approcha de la pile de caisses et tendit les bras vers le garçon qui était toujours perché au sommet.

« Les voleurs sont neutralisés, » lui cria-t-il, « sautez ! »

« Non. » répondit le garçon.

« Pourquoi ? » demanda le Prince.

« Ne voyez vous pas ma détresse ? » se lamenta le garçon, « ne comprenez vous pas qu'à chaque instant, je crains de tomber sur ces pointes d'épées ? »

« Mais je vous rattraperai. » cria le Prince.

« Je ne veux pas que vous me rattrapiez, » dit le garçon, « je veux être malheureux. C'est la première fois que j'en ai l'occasion, et j'apprécie beaucoup mon malheur. »

Ces paroles étonnèrent tant le Prince Merveille qu'il en resta un moment sans réagir, puis, d'un ton irrité il répliqua :

« Vous êtes fou ! »

« Si je n'étais pas aussi malheureux, là où je suis, je descendrais immédiatement pour vous donner une correction. » dit le garçon en soupirant.

Cette réponse contraria le Prince Merveille au point qu'il donna un coup dans la caisse du milieu de la pyramide, et l'instant d'après, les caisses dégringolèrent de partout, tandis que le garçon tombait avec elles.

Mais Merveille le rattrapa prestement dans ses bras, le sauvant des pointes mortelles.

« Voilà ! » dit il en remettant le garçon sur ses pieds, « maintenant, vos malheurs sont finis. »

« Et j'aimerais bien vous punir pour vous être mêlé de çà, » déclara le garçon, en jetant un regard sombre à son sauveur, « si vous ne m'aviez sauvé la vie en me rattrapant. Selon le code d'honneur de la chevalerie, je ne peux faire de mal à qui m'a sauvé la vie jusqu'à ce ce que je lui ai rendu la pareille. C'est pourquoi, pour le moment, je suis contraint de vous pardonner vos paroles et vos actes. »

« Mais vous m'avez aussi sauvé la vie, » répondit le Prince Merveille, « si vous ne m'aviez pas prévenu du retour des voleurs, ils m'auraient sûrement attrapé. »

Le visage du garçon se détendit, « c'est vrai, » dit il, « maintenant, nous sommes à égalité. Mais prenez garde de ne plus m'affronter, je ne vous montrerai alors aucune pitié ! »

Interloqué, Prince Merveille regarda le garçon ; il était à peu près de la même taille que lui, de la même force et de la même corpulence, il aurait pu être séduisant s'il n'avait arboré cette expression de contrariété sur son visage. Cependant, ses manières et ses propos étaient tellement absurdes que le Prince en fut plus amusé que fâché, et il se mit à lui rire au nez.

« Si tout le monde est comme vous sur cette île, » dit il, « je sens que je ne vais pas m'ennuyer. Et puis, après tout, vous n'êtes encore qu'un enfant. »

« Je suis plus grand que vous ! » protesta l'enfant en question avec un regard courroucé.

« Plus grand de combien ? » demanda Merveille en clignant des yeux.

« Oh, beaucoup ! » 

« Alors, prenez ce rouleau de corde et suivez moi. » dit le Prince Marvel.

« Prenez le vous-même ! » rétorqua sèchement le garçon,  « je ne suis pas votre domestique. » puis il mis ses mains dans ses poches et sortit tranquillement de la caverne pour regarder le tas de voleurs évanouis.

Prince Merveille ne répondit pas, il chargea simplement le rouleau de corde sur son épaule, et alla le jeter à côté des voleurs. Puis il se mit à couper des morceaux de corde avec son épée et ligota chacun d'eux soigneusement. En une demi-heure, il les avait alignés en une rangée qui occupait la moitié de la clairière, il compta ses prisonniers et en dénombra cinquante neuf.

les voleurs étaient neutralisés, sa tâche était accomplie, alors il se tourna vers le garçon qui était resté là à le regarder.

« Allez vous chercher une armure et une bonne épée, puis revenez ici. » dit il d'un ton autoritaire.

« Pourquoi ferais-je çà ? » demanda le garçon avec arrogance.

« Parce que je vais vous combattre pour avoir désobéi à mes ordres, et si vous ne vous protégez pas, je risque de vous tuer. »

« Cela me convient, » dit le garçon, « cependant, si vous parvenez à me vaincre, je vous supplie de ne pas m'achever de suite, mais de me laisser agoniser dans d'horribles souffrances. »

« Pourquoi ? » demanda le Prince.

« Parce que plus je souffrirai, mieux ce sera. » 

« Je n'ai pas envie de vous tuer ni de vous faire souffrir, » dit Merveille, « tout ce que je vous demande, c'est de me reconnaître comme votre maître. »

« Jamais ! » s'écria le garçon, « je ne reconnaîtrai personne comme mon maître en ce monde !  »

« Alors il vous faut vous battre, » déclara gravement le Prince, « si vous gagnez, je promets de vous servir fidèlement, et si je gagne, vous devrez me reconnaître comme votre maître et obéir à mes ordres. »

« Entendu ! » répondit le garçon avec un regain d'énergie, il se précipita dans la caverne et revint aussitôt, revêtu d'une armure et portant une épée et un bouclier, sur lequel était gravé un éclair.

« Cet éclair va foudroyer ces trois jeunes filles, dont vous semblez être le champion. » dit il d'un ton sarcastique.

« Ces trois jeunes filles relèveront le défi, » répondit le prince avec un sourire, « vous m'avez l'air assez courageux. »

« Courageux ? Pourquoi ne le serais-je pas ? » répliqua le garçon, « je suis le Seigneur Nerle, fils de Neggar, le Grand Baron de Heg ! »

Le Prince s'inclina respectueusement.

« Ravi de connaître votre rang, » dit il, « je m'appelle Prince Merveille, et ceci est ma première aventure. »

« Et sûrement la dernière, » le railla le garçon, « car je suis plus fort que vous, et j'ai souvent combattu des hommes plus grands que moi. »

Pour toute réponse, le Prince Merveille lui demanda :

« Êtes vous prêt ? » 

« Oui. »

Les lames s'entrechoquèrent en produisant des étincelles, mais cela fut très bref, car soudainement, l'épée de Nerle s'envola et alla se briser contre la paroi rocheuse. Il jeta un regard menaçant au Prince Merveille qui lui fit un sourire. Alors le garçon se rua dans la caverne et revint avec une autre épée.

À peine les armes se furent croisées à nouveau, que par une soudaine manœuvre, le Prince Merveille cassa le lame de Nerle en deux, puis il enchaîna en lui frappant l'oreille du plat de son épée, ce qui causa en grand désarroi au jeune homme, qui se laissa choir sur l'herbe pour réfléchir à ce qui lui arrivait.

Alors le rire du Prince Merveille résonna à travers les collines, son expression de surprise l'amusait tant qu'il mit plusieurs minutes à se remettre. Enfin, il demanda à son adversaire s'il en avait assez de se battre.

« Sans doute, » répondit le garçon en se frottant l'oreille,  « ce coup me fait délicieusement souffrir, mais j'ai du mal à admettre que le fils du Baron Neggar serve le Prince Merveille ! »

« Ne vous tracassez pas pour cela, » dit le prince, « je peux vous assurer que mon rang est tellement plus élevé que le vôtre, qu'il n'y a rien de dégradant pour le fils de Neggar à me servir. Mais venez donc, nous devons prendre une décision à propos de ces voleurs. Qu'y a t il de plus approprié pour ce genre d'hommes ? »

« Habituellement, on les pend. » répondit Nerle, en se remettant sur ses pieds.

« Bien, nous avons des arbres à notre disposition, » remarqua le prince, cependant, son cœur de fille frémissait d'horreur à cette idée, malgré sa résolution d'être viril et impitoyable. « Mettons nous au travail, » dit il d'un air décidé,  « et pendons les au plus vite. Ensuite, nous pourrons nous mettre en route. »

Maintenant, Nerle assistait de bon cœur son nouveau maître. Ainsi, en un rien de temps eut il placé une corde autour du cou de chaque voleur, prêt à les pendre aux branches des arbres.

Sur ces entrefaites, les voleurs commencèrent à reprendre conscience, et Wul-Takim, le grand Wul-Takim à la barbe rousse, roi des voleurs, se redressa et demanda :

« Qui nous a vaincus ? »

« Le Prince Merveille. » répondit Nerle.

« Où est l'armée qui vous a aidé ? » demanda Wul-Takim, en regardant le prince avec curiosité.

« Il vous a vaincus tout seul et d'une seule main. » dit Nerle.

En entendant cela, le grand roi se mit à pleurer amèrement, les larmes coulaient avec une telle abondance sur sa figure, que le Prince Merveille ordonna à Nerle de lui essuyer avec son mouchoir, du fait que les mains du voleurs étaient attachées derrière son dos.

« Quelle ironie ! » se lamenta Wul-Takim en sanglotant, « dire qu'après toutes ces mauvaises actions et ces crimes abominables que j'ai commis, je me fasse avoir par un gamin ! Booooouh ! Booooouh ! Booooouh ! Quelle déshonneur ! »

« Vous n'aurez pas à la supporter longtemps, » lui dit le prince pour le réconforter, « je vais vous pendre dans quelques minutes. »

« Merci ! Merci beaucoup ! » répondit le roi, qui cessa de pleurer, « je me suis toujours attendu à être pendu un jour, et je me réjouis qu'il n'y ait que vous deux comme témoins quand j'agiterai mes pieds dans l'air. »

« Moi, je n'agiterai pas les pieds, » déclara un autre voleur, qui venait de reprendre connaissance à son tour, « quand je serai pendu, je chanterai. »

« Tu ne pourras pas, mon bon Gunder, » le contredit le roi, « car la corde te coupera la respiration, et nul homme ne peut chanter sans respirer. »

« Alors je sifflerai. » dit Gunder, sans se laisser démonter.

Le roi lui lança un regard désapprobateur, puis il se tourna vers le Prince Merveille et lui dit :

« Çà va être une rude tâche de pendre autant de voleurs. Vous avez l'air fatigué, permettez moi de vous aider à pendre les autres, et à la fin, je monterai dans un arbre et me pendrai moi-même à la plus grosse branche, en vous créant le moins d'inconvénients possible. » 

« Non, je n'ai pas envie de vous importuner, » répondit Merveille en riant. « comme c'est moi qui vous ai vaincus, c'est mon devoir de vous pendre sans aide, à part celle de mon écuyer. »

« Vous ne m'importunez pas le moins du monde, je peux vous en assurer, faites donc comme vous l'entendez, » dit le chef, d'un ton insouciant. Puis il jeta un œil sur la caverne et demanda :  « qu'allez vous faire de notre trésor ? »

« Le donner aux pauvres. » répondit promptement Prince Merveille.

« Quels pauvres ? »

« Les plus pauvres que je trouverai. » 

« Puis je vous donner un conseil à ce sujet ? » demanda poliment le roi des voleurs.

« Faites donc, je suis un étranger dans ce pays. » répondit le prince.

« Eh bien, j'en connais beaucoup qui sont tellement pauvres qu'il n'ont aucun bien d'aucune sorte, ni nourriture à manger, ni de maison pour y vivre, ni de vêtements pour se couvrir le corps. Ils n'ont aucun ami, ni personne pour leur apporter de l'aide, je crois bien qu'il vont bientôt mourir misérablement à moins que vous ne veniez à leur secours ! »

« Pauvres gens ! » s'exclama Prince Merveille avec une sincère compassion, « dites moi de qui il s'agit, et je partagerai vos biens mal-acquis entre eux. »

« Il s'agit de nous-mêmes. » répondit le roi des voleurs en soupirant.

Merveille le regarda avec un grand étonnement, puis il éclata de rire.

« Vous-mêmes ! » s'écria-t-il, amusé.

« Oui, en effet ! » dit tristement Wul-Takim, « il n'y a personne de plus pauvre au monde, nous avons des cordes autour de nos cous prêts à être pendus, et demain, nous n'aurons même plus de chair, car les corbeaux l'auront arrachée à nos os.  »

« C'est vrai, » remarqua Merveille en réfléchissant, « mais si je vous rends votre trésor, quel bénéfice allez vous en tirer, puisque vous allez mourir ? »

« Êtes vous obligé de nous pendre ? » demanda le voleur.

 

 

« Oui, car ainsi l'ai-je décrété, et vous méritez votre sort. » 

« Pourquoi ? »

« Parce que vous avez délibérément volé la propriété d'autrui, et commis beaucoup d'autres crimes. »

« Mais nous nous sommes corrigés, et nous avons pris de bonne résolutions, n'est ce pas, les gars ? »

« Bien sûr ! » répondirent les autres voleurs, qui avaient repris conscience, et écoutaient la conversation avec un grand intérêt.

« Si vous nous rendez notre trésor, nous vous promettons de ne plus jamais voler, mais de vivre honnêtement en profitant de nos biens en paix. » assura le roi.

« Des honnêtes hommes ne peuvent profiter d'un trésor qu'ils ont volé. » dit Prince Merveille.

« C'est vrai, mais ce trésor vous appartient, comme vous l'avez gagné en combat loyal. Et si vous nous le donnez, ce ne sera plus un trésor volé, mais le généreux cadeau d'un grand prince, nous pourrons alors en profiter avec la conscience tranquille. »

« Cependant, il reste le fait que j'ai promis de vous pendre. » suggéra Prince Merveille en souriant, car ce roi l'amusait vraiment beaucoup.

« Pas du tout ! Pas du tout ! »  contesta Wul-Takim, « vous avez promis de pendre cinquante-neuf voleurs, et il ne fait aucun doute que ces cinquante-neuf voleurs méritaient d'être pendus. Seulement, nous avons tous changé et sommes devenus honnêtes, ce serait donc injuste de pendre cinquante-neuf honnêtes hommes. »

« Qu'en pensez-vous, Nerle ? » demanda le Prince en se tournant vers son écuyer.

« Eh bien, ce brigand a l'air sincère, » dit Nerle, en se grattant la tête d'un air perplexe, « cependant, s'il est sincère, il y a peu de différences entre un brigand et un honnête homme. Mon maître, demandez lui ce qui les a poussés à se corriger si soudainement. »

« Parce que nous étions sur le point de mourir, et l'on s'est dit que c'était un bon moyen de sauver nos vies. » répondit le roi des voleurs.

« En tout cas, c'est une réponse honnête, » dit Nerle, « peut être qu'ils se sont vraiment corrigés, monsieur. »

« Si c'est le cas, je n'aurai pas la mort de cinquante neuf innocents sur la conscience, » dit le Prince, puis il se tourna vers Wul-Takim et ajouta :  « je vais vous libérer et vous donner le trésor, comme vous le souhaitez. Mais dès cet instant, vous me devez allégeance, et si jamais j'entends dire que vous êtes redevenus voleurs, je vous promets de revenir et de pendre chacun d'entre vous. »

« N'ayez crainte ! » répondit joyeusement Wul-Takim « c'est un travail très dur de voler, et nous avons tellement de richesses que ce n'est plus nécessaire. De plus, comme vous nous avez accordé la vie et la fortune, désormais, nous sommes vos fidèles serviteurs, et chaque fois que vous aurez besoin de nos services, vous n'aurez qu'à nous appeller, nous vous offrirons avec joie notre loyale assistance. »

« J'accepte vos services. » répondit grâcieusement le prince.

Il détacha les cinquante neuf honnêtes hommes et retira les cordes de leurs cous. Comme la nuit n'allait pas tarder à tomber, les nouveaux serviteurs se mirent au travail, ils préparèrent une grande fête en l'honneur de leur maître, et elle fut célébrée au centre de la clairière herbeuse, afin que tous pussent s'asseoir et prendre part aux réjouissances.

« Vous croyez qu'on peut leur faire confiance ? » demanda Nerle, méfiant.

« Pourquoi pas ? » répondit le prince, « ils ont été très méchants, c'est vrai, mais ils ont l'air bien décidés à être très gentils. Il faut les y encourager, si l'on arrêtait de faire confiance à tous ceux qui ont déjà commis des mauvaises actions, il n'y aurait que très peu d'honnêtes gens dans le monde. Et s'il y avait autant d'intérêt à accomplir des bonnes actions qu'à en commettre des mauvaises, tout le monde choisirait les bonnes, c'est sûr. »

 

 

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