Zixi, la Reine d'Ix - 10

Les Conseillers essaient la Cape Magique

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Quand Tollydob, toujours vêtu de la Cape Magique, se fut incliné devant lui, Tim lui demanda :

« Combien d'hommes y a-t-il dans l'armée royale, Général ? »

« Sept mille sept cent soixante-dix sept, Votre Grâcieuse Majesté, » répondit Tollydob, « sans me compter moi-même, je précise. »

« Vous obéissent ils fidèlement ? » s'enquit Tim, qui avait quelques doutes sur ce point.

« Tout à fait ! » répondit fièrement le Général, « ils ont terriblement peur de moi. »

« Pourtant, vous êtes bien petit pour commander une si grande armée. » remarqua le Roi. 

Le Général en Chef devint rouge de confusion, car, bien qu'il fût âgé et corpulent, il était à peine plus grand que Tim, et comme tous les hommes petits, il était très sensible sur la question de sa taille.

« Je suis un redoutable combattant, Votre Majesté, » répliqua vivement Tollydob, « et quand je suis à cheval, on remarque à peine ma taille. Cependant, » ajouta-t-il avec un soupir, « c'est quand même mieux d'être grand, j'aimerais bien mesurer trois mètres. »

À peine eut il prononcé ces mots que Tim poussa un cri de surprise ; la tête effarée du Général s'était mise à monter brusquement jusqu'à heurter le plafond, ce qui lui enfonça son chapeau jusqu'au nez.

La pièce faisait exactement trois mètres de haut, et maintenant, il mesurait aussi trois mètres. Il mit du temps à comprendre ce qui lui était arrivé, et Tim, remarquant pour la première fois que Tollydob portait la Cape Magique, éclata de rire devant le résultat cocasse de ce souhait.

Le Général arracha le chapeau de sa tête, puis il se regarda avec un sentiment de terreur mêlé de satisfaction. Ayant toujours été un très petit homme, devenir soudain un géant, c'était pour lui presque une bénédiction.

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« Que s'est il passé, Votre Majesté ? » demanda-t-il d'une voix tremblante. 

« Vous portez la Cape Magique de ma sœur, » répondit Tim, riant à gorge déployée devant la mine consternée du grand bonhomme, « il exauce un souhait à quiconque le porte. »

« Un seul ? » demanda le pauvre Tollydob, « j'avoue que j'aimerais mieux être un peu moins grand. »

« Il est trop tard, maintenant, » dit Tim, « vous avez souhaité mesurer trois mètres, et voilà ! Vous devrez rester ainsi, Tollydob, que çà vous plaise ou non. Mais je suis très fier de vous, vous devez être le plus grand Général du monde !  »

Cela mit un peu de baume au cœur de Tollydob, il tenta de s'asseoir dans un fauteuil, mais il se brisa en morceaux sous son poids, alors il soupira et se résigna à rester debout. Puis, en frissonnant à l'idée de ses pouvoirs féériques, il ôta la Cape Magique qui glissa jusqu'au sol, et il dit :

« Si j'avais su, j'aurais demandé à mesurer un mètre quatre-vingt au lieu de trois ! »

« Ce n'est pas si grave, » le consola Tim,  « si jamais nous avons une guerre, les rangs ennemis seront frappés de terreur en vous voyant, et vous serez considéré comme le plus grand héros du Noland, dans tous les sens du terme. » 

Tollydob partit pour se montrer au Conseiller en Chef, et il dut se baisser très bas pour franchir l'embrasure de la porte..

En voyant cet homme gigantesque sortir de la chambre du Roi, Jikki poussa un hurlement de terreur et s'enfuit en courant. Le Général en Chef en éprouva un certain plaisir, car il aimait bien faire peur aux gens.

Tim courut raconter à Tignasse ce qui était arrivé à son général, juste au moment ou l'Exécuteur des Hautes Œuvres entrait dans le palais. Comme il n'y avait personne pour le recevoir, il se rendit à la chambre du Roi et là, il trouva la Cape Magique qui trainait par terre.

« J'ai vu la Princesse Tignasse porter cette cape, » se dit Tellydeb, «  je vais lui ramener dans ses  appartements, c'est trop joli pour être ainsi négligé. Jikki mériterait une réprimande pour cela. »

Tellydeb ramassa la Cape et la posa sur son bras. Les couleurs chatoyantes du tissu le fascinaient, du coup sa curiosité l'emporta, et il décida de l'essayer pour voir comment elle lui allait.

Alors qu'il était ainsi occupé, il entendit au loin le rire d'une petite fille .

« La Princesse doit être dans les jardins royaux, » se dit il, « c'est là que je la trouverai. »

Il emprunta le grand couloir, toujours portant la Cape sur le dos, il arriva à l'arrière du palais et franchit une porte conduisant aux jardins. Tout était calme, on entendait le chant des oiseaux qui nichaient dans les arbres, soudain, il crut apercevoir l'éclat d'une robe blanche, il se dit alors que c'était sûrement la petite Princesse. .

Il arpenta lentement le chemin, se délectant du parfum des fleurs et de la sérénité du lieu, car l'Exécuteur des Hautes Œuvres était de nature pacifique et savait apprécier les belles choses.

Au bout d'un moment, il se retrouva dans un verger, il vit une belle pomme rouge bien mûre pendue à une branche au loin, il la contempla avec gourmandise et il se dit en tendant la main :

« Ah, si je pouvais atteindre cette pomme d'ici ! »   

Aussitôt, son bras s'allongea en direction du fruit, qui se trouvait au moins à dix mètres de lui, et tandis que l'homme, stupéfait, contemplait ce phénomène, sa main se referma machinalement dessus et le ramena à lui. La pomme lointaine se trouvait maintenant sous ses yeux, et son bras avait retrouvé sa taille normale.

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Pendant un moment, le Conseiller fut saisi de panique, la Cape glissa de ses épaules sans qu'il ne s'en rende compte tandis qu'il s'écroulait sur un banc en tremblottant.

« On... on dirait de la magie ! » dit il tout bas, « j'ai simplement tendu la main, puis... j'ai presque touché la cime de l'arbre et... »

Il poussa un cri de surprise, car à nouveau, son bras s'était allongé et avait atteint les plus hautes branches pommier. Il ramena prestement sa main et regarda autour de lui pour vérifier qu'il n'y avait personne. Cet endroit du jardin était désert, le vieil homme avait tout loisir de tester son nouveau don.

Il cueillit une rose dans massif situé à une dizaine de mètres sur sa droite, après en avoir humé le parfum, il la plaça dans un vase qui se trouvait à six mètres sur sa gauche. Puis il remarqua une fontaine loin derrière une haie, sa main franchit facilement la distance et il la plongea dans l'eau. C'était vraiment extraordinaire, ce pouvoir si soudain d'atteindre de telles distances. Puis il aperçut Jikki à la porte du palais, silencieusement, il étendit le bras et lui donna une claque. Ne voyant pas d'où provenait le coup, le valet fut saisi de terreur et s'enfuit en courant.

« Je vais retourner à la maison, il faut que ma femme voit çà. » se dit alors Tellydeb. 

Il quitta le jardin, et peu après arriva Tallydab, le Grand Intendant, suivi de son petit chien Hirsute. Je ne sais pas pourquoi il l'avait appelé ainsi, peut être à cause de son poil ébouriffé ou de son tempérament, mais ce nom lui allait très bien. Tallydab adorait son chien, qui le suivait partout sauf dans la salle de conseil du Roi, et il lui parlait souvent, lui confiant ses peines et ses craintes, comme s'il s'adressait à une personne.

Alors qu'il flanait avec lui dans le jardin, il remarqua la splendide Cape qui trainait sur le chemin.

« Oh, comme c'est beau ! » s'écria-t-il en se baissant pour la ramasser, « c'est la Cape de la Princesse Tignasse, je n'avais jamais rien vu de tel auparavant, n'est ce pas ravissant, Hirsute ? »

Le chien lâcha un petit jappement et remua sa queue touffue.

« Comment çà me va ? » continua le Grand Intendant, en s'enveloppant dans les plis de la Cape Magique,  « comment çà me va, hein, Hirsute ? De quoi ai-je l'air dans cette chose sublime ? »

Le chien cessa de remuer la queue et fixa son maître d'un air grave.

« De quoi ai-je l'air ? » répéta Tallydab,  « ah, si tu pouvais parler ! »

« Tu as l'air parfaitement ridicule. » répondit le chien d'un ton assez rude.

Le Grand Intendant fit un bond d'au moins un mètre, tellement il était saisi. Puis, les mains appuyées sur les genoux, il se pencha vers le chien pour l'observer.

« Sur le moment, j'ai bien cru que tu avais parlé ! » lui dit il. 

« Ce n'est pas ce que tu voulais ? » demanda Hirsute d'un air maussade,  « eh bien oui, j'ai parlé, et je continue à parler, tu es convaincu ? »

Tallydab poussa un soupir, il devait bien se rendre à l'évidence.

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« J'en étais sûr ! » répondit il, « j'ai toujours dit que tu étais un chien exceptionnel, maintenant, j'en ai la preuve. Aucun autre chien n'est capable de parler ! »

« Sauf dans les contes de fées, » dit Hirsute,  « n'oublie pas les contes de fées. »  

« Je n'oublie pas, » répondit Tallydab,  « mais ce n'est pas un conte de fées, c'est la vie réelle au Royaume du Noland. »

« Bien sûr, » acquiesça Hirsute « néanmoins, mon cher maître, maintenant que je suis capable de parler, permets moi de te demander quelque chose ; de bon à manger, pour une fois, juste pour voir à quoi çà ressemble. »

« Quelque chose de bon ? » s'exclama l'Intendant,  «  pourtant, je te donne un gros os tous les jours. »

« En effet, » dit le chien,  « et je manque de me casser les dents en pour récupérer le peu de moelle qu'il contient. Mais pourquoi donc les gens s'obstinent à donner des os à leurs chiens au lieu de leur donner de la viande ? »

« Je croyais que tu aimais les os, moi ! » protesta Tallydab, qui s'était assis sur le banc en regardant l'animal avec curiosité.

« Eh bien, j'aime pas. Je préfère de la vraie nourriture, quelque chose de bon et de consistant comme tu en manges toi-même. » grommela Hirsute.

Le Grand Intendant éclata de rire.

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« Dis, tu te rappelles de la Mère Hubbard1? »  lui demanda-t-il. 

« Oui, mais ce n'est qu'un comptine, » répliqua sèchement Hirsute, « et il n'y avait pas un seul os dans son placard, en plus. Si tu veux que nous restions amis, ne me parle pas de la Mère Hubbard. »  

« Au fait, » reprit l'Intendant en lui jetant un regard de travers, « il y a quelques minutes, tu as dit que j'avais l'air ridicule avec cette Cape. »

« C'est exact, » répondit Hirsute avec un reniflement peu discret, « c'est une Cape de fille, elle n'est pas faite pour un vieux bonhomme tout ridé comme toi. »

« Tu as sans doute raison, » répondit Tallydab en soupirant. Alors il retira la Cape et la posa sur le siège du banc. « Allez, viens, » ajouta-t-il, « on va te trouver de la bonne viande à manger. »

« Çà, c'est bien dit, mon ami ! » s'exclama le chien, « allons y sans tarder. »

Et ils partirent en abandonnant négligemment la Cape Magique, qui avait déjà accompli tant de merveilles en ce jour.

Quand vint le crépuscule, Tillydib, le Gardien de la Bourse Royale, se faufila dans le jardin et vint s'asseoir sur le banc pour fumer sa pipe en paix. Tout l'après midi on l'avait harcelé avec des factures pour ceci ou pour cela, et avant qu'il parvienne à s'enfuir, la bourse s'était considérablement allégée à force de payer, .

« Si çà continue comme çà, » se dit il, « il n'y aura bientôt plus d'argent, et je ne sais pas ce que nous allons devenir ! »

L'air était frais, le vieux Conseiller frémit un peu, puis, remarquant la Cape posée sur le siège, il la mit sur ses épaules.

« Encore cinq mois, » marmonna-t-il à mi-voix, « encore cinq mois à attendre avant de lever les prochains impôts, et d'ici là, le Roi et ses Conseillers auront le temps de mourir de faim, même en vivant dans un palais ! Ah ! Si cette Bourse Royale pouvait toujours rester pleine, quelle que soit la somme qu'on en retire ! »

Brusquement, la grande Bourse, qui ne pesait presque plus rien, glissa de ses genoux et tira lourdement sur son cou, où il l'avait attachée avec une chaîne en or par sécurité.

Arraché à ses pessimistes méditations, Tellydeb ramassa la Bourse et la reposa sur ses genoux, il fut étonné de son poids, il l'ouvrit et s'aperçut qu'elle débordait littéralement de pièces d'or.

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« Çà alors ! D'où vient toute cette fortune ? » s'exclama-t-il en secouant la tête d'un air incrédule, « je m'en vais tout de suite payer les créanciers qui me harcèlent.  »

Il courut aussitôt à la trésorerie royale, au rez-de-chaussée du palais, et se mit à régler tous ceux qui se présentaient avec des factures. Il s'attendait à ce que la Bourse se vide, mais quelque fut la somme qu'il en prélevait, elle restait toujours aussi pleine.

« Peut être, » pensa-t-il, quand la dernière facture fut réglée, « que mon souhait, tout insouciant qu'il fut, a été mystérieusement été exaucé d'une manière ou d'une autre.  »

Il ignorait qu'il devait sa bonne fortune à la Cape Magique, qu'il portait toujours, d'ailleurs.

Alors qu'il quittait la salle, il rencontra le Roi et la Princesse Tignasse, qui venaient juste de terminer leur souper, et la fillette s'écria :

« Dites donc, c'est ma Cape ! Où donc l'avez vous trouvée, Tillydib ? »

 « Dans le jardin, » lui répondit le Gardien de la Bourse Royale, « reprenez donc votre bien, et voici de quoi vous dédommager pour l'avoir utilisée. » ajouta-t-il en versant un flot de pièces d'or scintillantes dans ses mains.

« Oh, merci ! » s'exclama Tignasse, en prenant la précieuse Cape dans laquelle elle emballa les pièces avant de l'emporter dans sa chambre.

« Je ne la prêterai plus jamais, à moins que ce soit nécessaire, » se dit elle en elle-même, « Tante Rivette a été très négligente de la laisser trainer dans le jardin. »

Alors, après l'avoir soigneusement pliée, elle l'enferma dans un tiroir, et elle cacha la clé dans un endroit connu d'elle seule.

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1Voir Old Mother Hubbard dans la section Nursery Rhymes

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