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La Clef-Maîtresse - 1

L'atelier de Rob

 
Clef maitresse 1
 
Quand Rob commença à s'intéresser à l'électricité, son progressiste de père considéra ses fantaisies aussi instructives que ludiques, aussi l'encouragea-t-il en lui fournissant toutes les batteries, générateurs et matériaux divers nécessaires à ses expériences1.
 
L'enfant avait aménagé son atelier dans une chambre mansardée, d'où partait tout un réseau de câbles qui traversaient toute la maison. Non seulement chaque porte extérieure était équipée d'une sonnette électrique, mais chaque fenêtre était pourvue d'une alarme anti-cambrioleurs. De plus, on ne pouvait se déplacer d'une pièce à l'autre sans déclencher un signal retransmis à son atelier. Grâce à une minuterie électrique qu'il avait bricolée à partir d'une pendule détraquée reliée à un carillon, le gaz s'allumait automatiquement à toutes les heures de la nuit, réveillant les domestiques à chaque fois, au point que le cuisinier menaça de démissionner. Une cloche sonnait quand le facteur déposait une lettre dans la boîte, peu après une autre sonnait pour autre chose, il y avait des cloches partout, des cloches et encore des cloches, qui sonnaient à l'heure exacte ou à la mauvaise en permanence. Et des téléphones dans toutes les pièces, avec lesquels Rob appelait les membres de sa famille à tous moments, surtout ceux où ils voulaient être tranquilles.
 
Pour sa mère et sa sœur, les lubies scientifiques du garçon étaient une nuisance, mais son père prenait très à cœur les talents de son fils, et il tenait à ce qu'il puisse mener ses idées à bien.
 
« L'électricité, » dit un jour ce gentleman avisé, « est destinée à devenir la force motrice du monde. La prochaine grande avancée de la civilisation se fera les long des lignes électriques. Notre garçon est appelé à devenir un grand inventeur, ses contemporains resteront sans voix devant ses créations. » 
 
D'un air désespéré, la mère répondit : « Par la même occasion, nous allons finir électrocutés, ou bien la maison va prendre feu avec tous ces câbles qui s'entrecroisent, ou encore elle va sauter avec tous ces produits chimiques ! »
 
« C'est ridicule ! » s'exclama le père, « les batteries de Rob n'ont pas assez de puissance pour électrocuter qui que ce soit, encore moins pour mettre le feu à la maison. Laisse donc une chance à ce garçon, Belinda, »
 
« Mais ses farces sont si grossières, » continua la dame, « quand le pasteur a sonné à la porte, hier, une pancarte est apparue, il y était écrit : Je suis occupé, revenez plus tard. Heureusement, Hélène l'a vu et l'a fait entrer. Quand j'ai réprimandé Robert pour cela, il m'a répondu que c'était juste pour voir si le dispositif fonctionnait. »
 
« J'avais raison ! Ce garçon a vraiment l'âme d'un inventeur, je vais lui demander de m'installer une de ces pancartes à la porte de mon bureau. Je te le dis, Belinda, un de ces jours, notre fils sera un grand homme. » déclara monsieur Joslyn, en marchant de long en large d'un pas solennel, ivre de fierté pour son rejeton si plein de promesses.
 
Madame Joslyn poussa un soupir, elle savait que toute remontrance serait inutile tant que son mari encouragerait leur garçon, et qu'il était plus sage de porter sa croix en silence.
 
Rob était conscient que les protestations de sa mère seraient sans effet, aussi continuait il de s'adonner à toutes sortes d'activités liées à l'électricité, utilisant la maison comme centre expérimental pour tester ses trouvailles.
 
C'était dans la mansarde, qu'il appelait son atelier, qu'il se plaisait le plus, c'était le point de connection de tous les câbles qui sillonnaient la maison, il y avait aussi installé un bric-à-brac de réalisations diverses, comme un trolley-bus roulant sur une route circulaire et s'arrêtant régulièrement à chaque station, un train qui parcourait des collines de papier mâché et passait sous un tunnel, un moulin qui pompait de l'eau dans une bassine et la versait dans une casserole, une maquette de scierie totalement opérationnelle, avec des forgerons, des fraiseurs-tourneurs, des charpentiers, des menuisiers, tous reliés à un générateur, se livrant à leurs tâches respectives de façon maladroite mais régulière, 
 
La chambre était saturée de câbles, ils grimpaient aux murs, recouvraient le sol et le plafond, piégeant le visiteur non-averti au cou ou aux pieds. En fait, les visites étaient quasi-impossibles dans un endroit aussi surchargé, et même son père avait renoncé à en franchir le seuil. Quant à Rob, il connaissait bien ses câbles, sachant avec précision lequel servait à quoi, bien que des fois, il s'y perdit quand même.
 
Justement, un jour, où il s'était enfermé à clefs pour éviter d'être dérangé, et qu'il travaillait sur l'éclairage électrique d'un grand palais de carton, il ne s'y retrouva plus du tout dans ce fatras de câbles entremêlés. Bien sûr, il avait un panneau de contrôle, d'où il pouvait établir et couper les connections à son gré, mais il ne savait laquelle utiliser pour alimenter les petites lumières électriques.
 
Alors il brancha des câbles entre eux de manière aléatoire, dans l'espoir de tomber sur la bonne combinaison. À un moment, il crut avoir réussi, mais il manquait encore de la puissance, alors il ajouta d'autres câbles, et d'autres encore jusqu'à les utiliser tous.
 
Mais çà ne marchait toujours pas, il réfléchit au problème, puis il tenta de le régler en débranchant des câbles pour les rebrancher ailleurs, en retirant un ici pour le mettre là. Soudain, le panneau de contrôle se mit à crépiter de manière inquiétante, comme s'il avait du mal à canaliser tout ce courant, et brusquement, il y eut un vif éclair de lumière qui manqua de l'aveugler.
 
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Rob s'était mis la main sur le visage pour se protéger, puis, s'apercevant qu'il était indemne, il la retira, et en clignant des yeux, il observa la lueur extraordinaire qui remplissait la pièce, beaucoup plus forte que la lumière du jour.

Bien qu'il fut encore ébloui, il remarqua qu'elle semblait rayonner d'un point particulier. La main en visière, il plissa les yeux, et au cœur de cette radiance, il distinga un Être plein de grâce et de majesté qui le regardait !
 
 
1 À l'époque, L. Frank Baum devait être un des rares particuliers à bénéficier d'une distribution de courant électrique, qui était surtout destiné aux transports, à l'éclairage public et à l'industrie, sur ce sujet, voir l'article publié par le CNRS : L'avènement de la fée électricité, 1870-1900 (NdT). 
 
 
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