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Contes de Fées Américains - Supplément 2

Le ryl des lis (Édition de 1908)

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Lis

Le vendredi soir, le petit Bob dit à sa mère : "mardi c'est Pâques." 

"Je sais." répondit elle. 

"Le maître nous a demandé d'apporter des fleurs demain pour décorer l'église," continua-t-il, "tous les garçons et les filles vont amener toutes les fleurs qu'ils pourront trouver pour l'église et le maître nous laissera l'aider pour la décoration." 

La veuve leva la tête de sa table à repasser et regarda tristement son enfant.

"Tu sais, mon chéri, je suis trop occupée pour planter des fleurs et en prendre soin," lui dit elle, "en plus, nous ne pouvons pas avoir de jardin, j'ai besoin de toute la place dans la cour pour sécher mon linge, nous ne pourrions pas cultiver de fleurs même si nous en avions le temps." 

Bob hocha la tête. 

"Je sais bien, maman, mais comme tous les autres vont ramener des fleurs, j'aurais bien aime en ramener aussi à l'église pour Pâques." 

La femme continua de repasser un moment en silence, puis elle dit : 

"Il doit bien y avoir des boutons d'or et des marguerites dans les champs du nord en ce moment, pourquoi n'irais tu pas en cueillir ? Ce n'est pas très loin d'ici, et il n'y a pas plus belles fleurs au monde. Comme nous n'avons rien d'autre, je suis sûre qu'elles feront l'affaire pour Pâques." 

Bob trouva l'idée excellente. 

"J'irai en chercher demain matin !" s'écria-t-il, "ce sont des fleurs, après tout, même si elles poussent à l'état sauvage dans les champs, mais le maître a dit que les les plus belles fleurs pour Pâques c'étaient les lis." ajouta-t-il avec regret. 

"C'est vrai," répondit sa mère, "mais les lis sont rares par ici, et je doute qu'il y en ait dans le village. parmi les fleurs de tes camarades, il n'y en aura certainement pas, je suis sûre que tes boutons d'or et tes marguerites seront aussi belles que les leurs." 

Le lendemain matin, Bob était debout avant le lever du soleil, après avoir avalé un petit déjeûner sommaire, il se saisit de sa casquette, traversa tout le village en courant pour rejoindre les champs du nord et y chercher des boutons d'or et des marguerites. 

C'était quand même un long trajet pour un petit garçon, mais Bob s'en moquait. Arrivé aux champs, il se mit aussitôt à la recherche de fleurs, malheureusement, au bout d'une heure, il n'avait toujours rien trouvé, hormis quelques boutons d'or encore fermés qui ne valaient pas la peine d'être cueillis. 

L'enfant réalisa peu à peu qu'il avait échoué dans sa quête, il était tellement déçu qu'il s'allongea dans l'herbe et se mit à pleurer à chaudes larmes. 

Cependant, chez un petit garçon en bonne santé, le chagrin se dissipe bien vite, quand sa peine fut apaisée, il poussa un grand soupir en s'essuyant les yeux. 

Un autre soupir fit écho au sien, il tourna la tête et vit une drôle de petite créature assise sur une souche à côté de lui. Elle avait une forme humaine et était vêtue d'habits bariolés. Bob écarquilla les yeux en se redressant, ce quidam ne devait pas mesurer plus d'une quinzaine de centimètres, même en se tenant sur la pointe des pieds. 

Le petit homme s'essuya soigneusement les yeux avec un mouchoir violet, puis il dit d'un ton joyeux : 

"Je me sens mieux, pas vous ?" 

"Vous avez pleuré aussi ?" demanda Bob. 

"En effet," répondit l'étrange personnage, "j'ai de gros soucis, vous savez, j'avais le cœur si lourd que j'étais las de le porter, quand je vous ai entendu pleurer, alors je me suis dit que c'était le meilleur moyen d'alléger ma peine. C'est là que je me suis installé sur cette souche pour m'abandonner à une crise de larmes. Il n'y a rien de tel que pleurer un bon coup pour aller mieux, je dois vous remercier de m'avoir donné l'idée." 

Sur ces mots, il se leva, lissa les plis de son pantalon rayé de jaune et de vert, brossa son chapeau rouge de la manche et arrangea le nœud de sa cravate bleue. 

"Hélas, je dois vous quitter," ajouta-t-il, "je dois être au Brésil à dix heures." 

"Attendez, ne partez pas tout de suite, je vous en prie !" s'écria Bob, "je... je voudrais vous parler et vous poser quelques questions." 

"Allez y," dit le petit homme en se rasseyant, "j'ai encore une heure devant moi, le temps passe plus lentement au Brésil qu'ici." 

"Merci." répondit Bob, sans quitter la minuscule créature des yeux. 

"Alors ?" s'impatienta l'étrange individu, "elle viennent ces questions ?" 

"Euh... êtes vous une fée1 ?" demanda le petit garçon avec hésitation. 

Le petit bonhomme poussa un soupir de dépit en brossant sa veste de satin blanc. 

"Voyez vous des ailes sur mon dos ?" demanda-t-il d'un sarcastique, "voyez vous de longs cheveux blonds et bouclés sur mes épaules, suis-je vêtu d'une robe de dentelle flottant grâcieusement autour de moi ?" 

"Non." répondit Bob. 

"Je ne suis donc pas une fée." déclara catégoriquement le petit homme. 

"Vous êtes peut être un brownie2." se hasarda l'enfant. 

"Un brownie !" s'exclama son interlocuteur, outré, "trouvez vous que je ressemble à ces vilains petits elfes ? Suis je plus grand que la normale ? Mes jambes ressemblent elles à des cure-dents, ai je les yeux comme des soucoupes ?" 

Brownie psf

"Non," répondit Bob, "pas du tout." 

"Alors je ne suis pas un brownie." rétorqua l'homme en croisant les bras et en secouant la tête de manière comique. 

"Je.. je n'ai aucune idée de ce que vous êtes," avoua le petit garçon, "pouvez vous me le dire, s'il vous plait ?" 

"Avec plaisir," répondit son compagnon en se levant pour lui faire une révérence, "je suis un ryl3." 

"Ah !" fit l'enfant. 

"Vous ne savez pas ce qu'est un ryl ?" demanda l'autre, un peu froissé. 

"Euh, non, pas vraiment." reconnut Bob. 

"J'aurais dû m'en douter, les vieilles nourrices parlent toujours des fées et de ces stupides hobgoblins4 aux enfants, mais elles ne mentionnent jamais les ryls. Quant aux gens qui écrivent des contes de fées, des comptines, des histoires de brownies et qui inventent toutes sortes de choses invraisemblables, ils feraient mieux de s'intéresser à nous, les ryls, qui sommes au service de la nature, ils en apprendraient beaucoup de notre part, plein de choses instructives et distrayantes. Ce qui est certain, c'est que les ryls sont négligés, c'est bien triste, et par la faute à qui ?" demanda le petit homme d'un air entendu. 

"Je n'en sais absolument rien." répondit Bob, assis sur l'herbe les bras autour des genoux, observant son étrange compagnon accroupi sur la souche qui lui arrivait à hauteur des yeux.

Le ryl se mit à rire en voyant l'air perplexe du petit garçon. 

"J'ignore moi-même qui est responsable de cela," dit il, "mais comme nous nous sommes rencontrés dans de si tristes circonstances, je serais heureux de vous apprendre certaines choses sur les ryls. Nous sommes au service de la nature, comme je vous l'ai dit, tout ce qui pousse a besoin de nourriture, tout comme les gens. Vous ne pouvez pas grandir ni vous développer sans manger, pas plus qu'une fleur ne peut s'épanouir si elle ne reçoit pas la nourriture appropriée." 

"Que mangent les fleurs ?" demanda Bob. 

"Elles ne mangent rien par la bouche car elles n'en ont pas, mais elles puisent leur nourriture dans la terre par leurs racines pour pousser, donner des boutons et fleurir. Ce sont les ryls qui placent cette nourriture dans la terre pour elles." 

"Ah bon." fit Bob. 

"Chaque ryl doit s'occuper d'une espèce de plante particulière," continua le petit homme, "moi, par exemple, je suis responsable des lis de Pâques." 

"Vraiment ?" s'écria l'enfant en se levant d'un bond dans son enthousiasme, il se rassit aussitôt pour être à nouveau près de son minuscule interlocuteur. 

"Pourquoi vous emballez vous ?" demanda le ryl. 

"Parce que vous vous occupez des lis de Pâques, vous pourriez peut être m'aider à en trouver, vous savez où ils poussent ?" 

"Réfléchissez un peu," répliqua le ryl, "votre question est vraiment stupide, bien sûr que je sais où ils poussent. Mais çà me rappelle mon gros soucis, en plus, il me faut aller tout de suite au Brésil, j'ai un immense champ de lis de Pâques à m'occuper là bas.” 

"C'est quoi votre grand soucis ?" demanda Bob. 

"Eh bien voilà, cette année, j'ai trouvé presque toute la nourriture nécessaire pour les lis, mais il y a une chose que j'ai cherché partout sans la trouver, celle qui donne sa couleur jaune vif aux étamines, c'est le contraste avec le blanc des pétales qui fait la beauté de ces fleurs, je dois en alimenter des milliers, il y a un mois, j'en avais trouvé assez en Sénégambie5 pour les colorer toutes à l'exception de celles de ce champ brésilien, je crains qu'elles doivent rester toute blanches puisque je suis à court de cet ingrédient.” 

"C'est dommage," dit Bob avec compassion, "j'aimerais bien vous aider." 

Le ryl se frotta les mains d'un air satisfait.

"Je pense que vous le pouvez," dit il en faisant un clin d'œil à l'enfant, "croyez vous que je me suis arrêté ici pour bavarder avec vous sans motif ? Les ryls n'ont pas le droit de demander de l'aide aux humains, mais comme vous m'avez proposé librement la votre, il n'y a aucune raison pour que je la refuse.” 

"Que puis-je faire ?" demanda l'enfant. 

Votre grand-père possédait une bonne quantité de l'ingrédient que je recherche," répondit le ryl, "je ne sais pas où il l'a eu ni ce qu'il en faisait, mais il le conservait dans une grande bouteille bleue au dessus de la cheminée." 

"Oui," dit Bob, "j'ai souvent vu cette bouteille." 

"Savez vous où elle est actuellement ?" demanda le ryl. 

"Elle est toujours au dessus de la cheminée, maman n'y a pas touché depuis la mort de grand-père, elle n'a jamais su ce que c'était." 

Le petit homme se mit debout, se pencha au dessus du bord de la souche et dit d'une voix tremblante : 

"Si je pouvais avoir cette bouteille, çà me rendrait grand service !" 

"Alors je vais vous la chercher," répondit Bob, "mais si vous la vouliez tant, pourquoi n'êtes vous pas allé la prendre vous-même ?" 

"Ça serait du vol," objecta le ryl, "mais si vous me faites cadeau de la bouteille de votre grand-père, vous sauverez mon magnifique champ de lis brésiliens." 

"J'y cours tout de suite," s'écria le petit garçon, "attendez moi ici, je reviens." 

Il se leva d'un bond et fila vers le village, il emprunta la rue principale à toute vitesse et arriva chez lui à bout de souffle. Sa mère était sortie mais la porte n'était pas verrouillée, il poussa une chaise contre la cheminée et monta pour prendre la bouteille bleue sur le rebord, à l'endroit exact où l'avait laissée son grand-père, puis il descendit de la chaise et repartit sans perdre de temps. 

Quand il arriva aux champs du nord, le ryl était toujours assis sur la souche à l'attendre tranquillement. 

Bob posa la bouteille à côté de lui, il remarqua alors que le goulot dépassait la tête du petit homme. 

"Il n'arrivera jamais à l'ouvrir," se dit il, mais le ryl n'avait pas le moins du monde l'air embarrassé, il plaça la main sur son cœur en s'inclinant solennellement et dit : 

"Je ne sais comment vous exprimer ma reconnaissance, vous m'avez été d'un grand secours avec ce cadeau. Maintenant, à votre tour, dites moi pourquoi vous pleuriez quand je vous ai trouvé ici." 

"Je voulais cueillir des fleurs sauvages pour Pâques," expliqua Bob, "mais en arrivant, je me suis aperçu qu'elles n'étaient pas encore ouvertes. Nous sommes trop pauvres pour avoir un jardin, alors quand j'ai vu qu'il n'y avait pas de fleurs, j'étais désespéré." 

Le ryl s'appuya contre la bouteille bleue, plongea ses mains dans ses poches et se mit à siffloter d'un air pensif. L'enfant le regardait anxieusement car il espérait son aide. Finalement, le petit homme déclara : 

"Eh bien, il faut que vous veniez au Brésil avec moi, il n'y a que comme çà que je puisse vous aider. Une fois là bas, je vous donnerai assez de lis pour susciter l'admiration et le respect de tout le village." 

"Oh, je ne peux pas m'en aller aussi loin de chez moi," se lamenta l'enfant, "maman serait terriblement inquiète." 

Le ryl se mit à rire.

"C'est, vrai, c'est loin," dit il, "mais le voyage ne durera pas longtemps. Tenez, prenez la bouteille dans votre main gauche." 

Bien qu'un peu inquiet, Bob obéit. 

"Maintenant, donnez moi le petit doigt de l'autre main," continua le ryl, l'enfant lui tendit son petit doigt, l'homme le saisit fermement de sa main minuscule, puis il déclara d'un ton calme : "allons y !" 

Bob fut saisi de stupeur ; les champs du nord et le paysage familier avaient soudainement disparu, il se trouvait maintenant à côté du ryl au milieu d'un vaste champ de lis d'un blanc immaculé, dont les têtes s'agitaient sous la brise tropicale comme pour leur souhaiter la bienvenue. 

"Si je n'augmente pas de taille, vous risquez de me piétiner, attention, je vais grandir !" prévint le petit homme. 

Sa tête se mit grossir et s'éleva jusqu'à atteindre la hauteur de l'enfant. 

"Maintenant, je me sens plus en sécurité," dit il, "si vous voulez bien me donner la bouteille, je pourrai me mettre au travail et nourrir mes fleurs.” 

Bob lui tendit la bouteille bleue, le ryl en retira le bouchon et se mit à saupoudrer son contenu aux pieds des lis, il travailla rapidement et avec précision, il y eut juste assez d'ingrédient colorant pour alimenter le champ tout entier. Une fois la bouteille vide, il retourna auprès de l'enfant et lui dit : 

"Regardez à quelle vitesse les étamines de mes lis vont jaunir." 

En effet, Bob aperçut bientôt les petites capsules jaune vif qui se balançaient au bout de leurs fins pistils entre les pétales. 

Etamines

"Ma tâche est terminée," continua le ryl d'un ton joyeux, "grâce à votre gentillesse. Vous pouvez cueillir autant de lis que vous pouvez en ramener chez vous.” 

Sans hésiter, l'enfant accepta l'offre, en un rien de temps, il en avait cueilli une grande brassée.

"Ça devrait suffire, merci." dit il. . 

Mais son compagnon n'était pas satisfait.

"Attendez !" fit il en riant, puis il se mit à ramasser d'autres lis dont il chargea Bob au point qu'il devait lever la tête pour voir au dessus du tas, alors le ryl s'écria : "maintenant, accrochez vous ! Au revoir et bon retour !" 

"Au revoir !" répondit l'enfant, mais sa voix résonna bizarrement dans ses oreilles, l'instant d'après, il était dans les champs du nord, les bras chargés de lis qui emplissaient l'air de leur parfum. 

La petite église du village fut richement décorée ce dimanche de Pâques là, les lis de Bob en occupaient tous les recoins, suscitant l'admiration générale. Jamais on n'avait vu d'aussi belles fleurs dans les environs et chacun se demandait d'où elles venaient. 

Bientôt, tout le monde fut au courant de l'histoire de Bob, car il avait raconté son aventure avec le ryl à sa mère et au pasteur.

Après le sermon, la veuve s'approcha du révérend et lui demanda :

"Qu'en pensez vous, monsieur ? Mon fils a t il vraiment rencontré cette créature qu'il appelle un ryl ?" 

"Eh bien," fit le révérend d'un air grave, "à nos oreilles cela ressemble à un conte invraisemblable, mais si c'est faux, d'où viennent tous ces lis ?" 

"Ils n'ont certainement pas poussé dans les champs du nord," répondit la veuve, "c'est peut être est un miracle !” 

"C'est tout à fait possible, madame," répondit le brave homme, "Pâques est la saison des miracles."

Easter

1Voir l'article du blog : Les fées dans les œuvres de Baum (NdT).

2Les brownies sont des personnages du folklore écossais, il s'agit de génies domestiques qui effectuent les tâches ménagères de la famille chez qui ils sont installés en échange d'un repas ou de la liberté de se balancer sur un fer à cheval accroché à côté de la cheminée. Voir l'article wikipédia "brownie". (NdT)

3Les ryls sont des lutins affectés à la protection des plantes (NdT).

4Le hobgoblin est une créature légendaire du folklore britannique. Il est décrit comme amical et parfois serviable, vivant dans les habitations des campagnes. Dans le folklore anglais plus tardif, il est parfois décrit comme un esprit diabolique et confondu avec le gobelin. Voir l'article wikipédia "hobgoblin" (NdT).

5La Sénégambie est, historiquement, une aire géographique correspondant approximativement aux bassins des fleuves Sénégal et Gambie. Voir l'article wikipédia "Sénégambie" (NdT). 

 

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