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Yew, l'Île Enchantée - 6

Les ennuis de Nerle

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Cette nuit là, le Prince Merveille dormit dans la caverne, entouré des cinquante-neuf voleurs repentis, il n'eut à souffrir aucun mal de leur part. Au matin, accompagné de son écuyer, Nerle, monté sur un fougueux destrier que lui avait offert Wul-Takim, il recommanda à ces honnêtes gens de tenir leur promesse, leur dit au revoir, et se mit en route vers de nouvelles aventures.

Alors qu'ils quittaient la clairière en empruntant le passage étroit, que surplombaient les falaises de pierre, le Prince se retourna et il vit que la pancarte accrochée au dessus de la grille de la caverne, dite salle du trésor, avait changé, il y était maintenant écrit :

WUL-TAKIM
ROI DES HONNÊTES GENS
——
ICI, C'EST SA MAISON DES PLAISIRS
ENTREZ

« C'est bien mieux comme çà, » dit le Prince en riant, « finalement, j'ai accompli une bonne action dans mon aventure ! »
Nerle ne répondit pas. Il avait l'air particulièrement mélancolique en chevauchant à côté de son maître, après avoir voyagé un moment dans le silence, le Prince Merveille lui demanda :

« Dites moi donc, comment vous vous êtes retrouvé dans la caverne des voleurs et perché sur ces caisses ? »

« C'est une triste histoire, » répondit Nerle en soupirant, « mais puisque vous me demandez de vous la raconter, elle nous permettra de rompre la monotonie de ce trajet. »


Histoire de Nerle :

Mon père est un puissant baron, très riche et au si grand cœur qu'il a toujours pris plaisir à m'offrir toutes sortes de cadeaux imaginables. Il n'y avait pas un seul de mes désirs qui ne fut comblé, car avant même que je n'eûs souhaité quoique ce fut, cela m'était donné.

Ma mère ressemblait beaucoup à mon père. Elle et ses dames de compagnie me donnaient toujours des confitures, des gelées, des friandises, des gâteaux et toutes sortes de mets succulents, je n'ai ainsi jamais connu le plaisir d'avoir faim. Mes habits étaient faits des plus beaux velours et satins richement ouvragés, tissés d'or et d'argent, il était impossible de souhaiter mieux en matière vestimentaire.

On me laissait étudier mes leçons quand j'en avais envie ainsi que pêcher ou chasser à ma convenance, je ne peux donc pas me plaindre que l'on ne m'eût laissé faire ce dont j'avais envie. Tous les serviteurs obéissaient au moindre de mes demandes, si j'avais envie de rester debout tard dans la nuit, personne n'y voyait d'objection, si j'avais envie de rester au lit jusqu'au début de l'après-midi, on imposait le silence dans la maison pour ne pas me déranger.

Comme vous pouvez l'imaginer, plus j'avançais en âge, plus je trouvais ces conditions de vie lassantes et exaspérantes.

J'avais beau chercher, il n'y avait rien dont je pus me plaindre. Une fois, je vis le fils d'un serviteur recevoir le fouet, mon cœur en tressaillit d'envie, alors aussitôt, je suppliai mon père de me fouetter, prétextant vouloir varier un peu mes distractions. Et comme il ne pouvait rien me refuser, il y consentit aussitôt. C'est pour cette raison que, durant l'opération, je ressentis moins de satisfaction que je ne m'y attendais, bien que cela fut pour moi complètement nouveau.

Personne ne peut concevoir qu'un jeune homme à l'esprit fougueux comme moi puisse supporter une vie comme la mienne. Rien à désirer et aucun risque de faire quoi que ce fut pour contrarier mes parents, ma vie était plutôt morne.

Il se tut un instant pour essuyer une larme, et le Prince murmura avec compassion :

« Pauvre garçon ! Pauvre garçon ! »

Comme vous dites, continua Nerle, mais un jour, un étranger vint au château de mon père avec des récits des nombreux ennuis qu'il avait connus.
 

 

.

 

Il s'était perdu dans une forêt où on l'avait battu et abandonné sur le bas côté. Blessé et endolori de partout, il avait frappé à toutes les portes et s'était vu refuser aide et nourriture. À la fin, son histoire m'avait tellement enchanté que je l'enviais, et je me lamentais de ne jamais avoir souffert comme lui.
Quand j'eus l'occasion de lui parler seul-à-seul, je lui demandai :

« S'il vous plait, dites moi comment dois je faire pour que tous ces malheurs m'arrivent aussi ? Ici, j'ai absolument tout ce que je désire, et cela me rend malheureux. »

Sur le moment, l'étranger se mit à rire en entendant mes paroles, ce qui m'humilia et me procura du plaisir, mais cela ne dura pas longtemps, car il prit subitement un air grave et me conseilla de partir loin de chez moi pour rechercher l'aventure.

« Une fois loin du château de votre père, » me dit-il, « les ennuis vous tomberont dessus au delà de vos espérances, je crois que vous serez satisfait. »

« C'est justement ce que je crains ! » répondis-je, « je ne veux pas être satisfait, même avec les ennuis. Ce que je veux, précisément, c'est n'être jamais satisfait de quoi que ce soit. »

Il réfléchit un instant et me dit : « je vous conseille néanmoins de voyager, çà tournera sûrement mal, alors vous serez content. »

Je fis ainsi que me l'avait conseillé l'étranger, et je m'enfuis de chez moi le lendemain. Après avoir voyagé un long moment, j'ai commencé à ressentir les tiraillements de la faim, alors que je m'en réjouissais, un chevalier qui passait par là m'a donné de la nourriture.

C'était pour moi un échec, et je ne pus retenir mes larmes, mais alors que je pleurais, mon cheval trébucha et m'envoya plonger par dessus de sa tête. Sur le moment, j'espérais m'être brisé le cou, et je commençais à me réjouir de ce malheur, quand une sorcière, qui passait par là, enduisit mes blessures d'un onguent malgré mes protestations.

À mon grand désarroi, je guéris complètement et me retrouvai bientôt en pleine forme. Mon cheval s'était enfui, cela me consola un peu, alors je repris ma route à pieds.

Cet après-midi là, je marchai dans un nid de guêpe, mais ces stupides créatures s'envolèrent sans me piquer. Puis je rencontrai un tigre féroce, mon cœur se réjouit alors ; « je vais sans doute souffrir horriblement ! » m'écriai-je en accourant à la rencontre de la bête. Mais ce poltron de tigre me tourna le dos et courut se réfugier dans un buisson, me laissant sain et sauf !

Bien sûr, toutes ces déceptions constituaient une consolation en elles-mêmes, mais très ténue. Cette nuit là, je dormis à même le sol, espérant attraper une grave pneumonie, mais je n'eus pas cette joie.

Cependant, l'après-midi suivante, j'ai expérimenté mon tout premier vrai plaisir ; les voleurs m'ont capturé, dépouillé de tous mes beaux habits et de mes bijoux et m'ont roué de coups. Puis ils m'ont emmené à leur caverne, m'ont revêtu de guenilles et m'ont perché en haut du tas de caisses, où le moindre mouvement de ma part pouvait me précipiter sur les pointes des épées. C'était absolument sublime, j'étais vraiment heureux jusqu'à ce que vous arriviez et me libèriez.

Je pensais alors que je pourrais tirer avantage de vous en vous provoquant, ce qui en résulta notre bagarre. Ce coup que vous m'avez donné à l'oreille était absolument délicieux, et en me forçant à devenir votre serviteur, grâce à vous, je me suis senti heureux pour la première fois de ma vie. Car j'espère expérimenter toutes sortes de calamités et de déceptions en votre compagnie.

 

Alors que Nerle venait de conclure son histoire, le Prince Merveille lui saisit la main.

« Vous avez toute ma sympathie ! » dit il, « je sais exactement ce que vous ressentez, car durant ces derniers siècles, ma vie n'était pas si différente. »

« Ces derniers siècles ? » demanda Nerle en sursautant, « que voulez-vous dire ?  »

Le Prince rougit, s'apercevant qu'il avait presque dévoilé son secret, mais il s'empressa de dire :

« Quand vous êtes malheureux, vous n'avez pas l'impression que çà dure des siècles ? »

« Tout à fait ! » répondit Nerle d'un ton grave, « mais, de grâce, racontez moi votre histoire. »

« Pas maintenant, » dit le Prince Merveille en souriant, « si je ne vous la dis pas, vous vous éprouverez de la frustration de ne pas la connaître, et vous en ressentirez du plaisir. Cependant, je promets de tout vous révéler sur moi le jour où nous nous séparerons. »

 

 

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